LE CHRISTIANISME M’A « TUER » (suite)

L’ange de Reims (13ème siècle)

Ce sourire angélique n’abuse pas de Benoist pour qui « l’anachorète disgracieux » est le prototype même de ces chrétiens décrits dès l’origine comme une « engeance exécrable formée de la ligue de tous les ennemis du genre humain, ramassis d’esclaves, d’indigents, de mécontents, de gens de rien et sans aveu, conspirant contre l’ordre établi, désertant le service militaire, fuyant les fonctions publiques, préconisant le célibat, maudissant la douceur de vivre, jetant l’anathème sur toute la culture païenne ». En somme des asociaux psychotiques !   Le « judéo christianisme » est un « dire-non au monde et à la vie » (A. de Benoist, Comment peut-on être païen, Albin Michel, 1981), une pathologie « reflet d’une aspiration régressive vers l’unique » (A. de Benoist, Vu de Droite, ed. Labyrinthe, 2001). Cette caricature ouvre l’ouvrage que Jean Dumont a consacré à quelques échantillons d’histoire faussaire (L’Eglise au risque de l’Histoire, ed. Criterion, 1981). Elle est de Celse revisitée par un polygraphe assez déconcertant, Louis Rougier. Ce professeur de philosophie a soutenu dans sa thèse de doctorat que la raison humaine est incapable d’atteindre des vérités universelles. Il s’est mêlé d’épistémologie, de physique, de géométrie, de métaphysique (il est contre), d’économie (il est pour le libéralisme puis contre). S’étant découvert une vocation d’apologiste antichrétien, il publia en 1925 Celse, le conflit de la civilisation antique et du christianisme primitif  (ed. du Siècle). Ledit Celse, philosophe grec du 2ème siècle exhala son hostilité pour les chrétiens dans Le discours vrai, connu seulement par les mentions qu’en fait Origène (3ème siècle) dans son Contre Celse. Ce qui suffit à Rougier pour en reconstituer le texte perdu et aux néo païens de la Nouvelle droite pour s’enticher de l’homme et de l’œuvre. Le GRECE éditera en 1974 un recueil de ses conférences sous le titre en reprise Le conflit du christianisme primitif et de la civilisation antique (préface d’A. de Benoist) et l’associera à la fondation de sa revue Nouvelle Ecole.

Bref examen critique

classer « gens de rien » les premiers chrétiens est faux. Perpétue, martyrisée en 203 à Carthage avec son esclave Félicité est une patricienne et Jean Dumont signale que, dès le 1er siècle, l’illustre famille des Acillii et l’encore plus illustre famille des Flavii comptent des convertis. Et de citer  S-M Pellistrandi, chercheur à l’Ecole des Hautes études : du vivant de Celse lui-même « la foi chrétienne toucha peu à peu l’ensemble de la noblesse romaine » (La civilisation chrétienne primitive, Famot, 1976). Le martyrologe atteste qu’elle en paya le prix.

– drôles de paroissiens que des chrétiens « conspirant contre l’ordre établi ». Saint Paul ayant écrit aux Romains (13, 5) « il est nécessaire de vous soumettre [aux autorités] non seulement par crainte du châtiment mais aussi par un devoir de conscience », d’où sortent-ils ? Incohérents sans complexe, les néo païens s’en tirent par la tangente « si ce n’est toi c’est donc ton [faux] frère ! ». Lors de la Disputatio, quand Rémy Brague évoque « les vertus chrétiennes devenues folles », de Benoist rétorque « avant d’être folles elles étaient chrétiennes ! ». Passez muscade,  disaient jadis les bonimenteurs.

– « déserter le service militaire » ? S’il est de Celse, le grief est curieux, vu que les citoyens romains ne sauraient « déserter » un service dont ils sont dispensés. Depuis Auguste, l’armée de l’Empire est une armée de métier. Il y eut certes des chrétiens pour estimer ce métier incompatible avec l’Evangile. Le concile d’Arles (314) leur donna tort et seuls des faux frères, les hérétiques montanistes, s’obstinèrent. Dans l’histoire vraie, les légionnaires chrétiens furent nombreux (Legio III au Maghreb, Legio XII en Turquie…) et certains furent canonisés (Julien de Brioude, Maurice, Martin de Tours, Victor de Marseille…). Indiscutablement l’Empire fut beaucoup mieux défendu des invasions là où il y avait des chrétiens. Evêques en tête. Mensonge donc, de même que la « fuite des fonctions publiques » que Jean Dumont balaye, exemples à l’appui. « Déjà du temps de la clandestinité, les chrétiens exercent jusqu’à des fonctions de gouvernement » (op. cit. p. 29).

– « préconiser le célibat » insinue possiblement que les chrétiens contribuent à dépeupler l’Empire frappé par la dénatalité. Au vrai, si les « mœurs du Bas Empire » sont passées en proverbe, dès le 1er siècle la société, adonnée au « jouir sans entrave » (Satyricon de Pétrone, Satires de Juvénal), est en mode d’autodestruction Elle pratique allégrement avortement, contraception, infanticide, pédophilie (les inscriptions funéraires attestent une hécatombe d’épouses impubères relate Dumont), sodomie (la Satire II raconte un « mariage » homosexuel). Au sommet de l’Etat Caligula, qui se rêve en pharaon, veut épouser sa sœur et Elagabal s’éclate en orgies homosexuelles. Reste que les chrétiens ont en la matière des idées qui  ne sont pas fort éloignés de « ce  qui s’exprime avec une exceptionnelle vigueur dans la morale stoïcienne » (P. Chaunu, Histoire et foi, deux mille ans de plaidoyer pour la foi, ed. France-Empire, 1980). Nul ne songe à incriminer les stoïciens.

– le soi-disant « anathème sur toute la culture antique » est une véritable insulte à l’histoire (cf. billet précédent). Jean Dumont ne manque pas de la dénoncer ainsi que l’increvable calomnie du chrétien « maudissant la douceur de vivre ». Il fait valoir  que l’archéologie « a révélé l’existence d’un remarquable art paléochrétien » qui revisite l’art païen sans état d’âme. Il détaille « une infinité d’aimables peintures » qui dans les catacombes témoignent que les chrétiens ne sont pas des refoulés. On peut en dire autant des scènes représentées sur les sarcophages ou des décors des villae des chrétiens fortunés (https://www.asmp.fr/fiches_academiciens/textacad/besancon/art_christianisme.pdf). Certes, rien d’orgiaque mais, sauf erreur, les néo païens admirent volontiers l’éthique samouraï. Or, dans la culture japonaise, la discipline, l’austérité sont la forme suprême de la beauté. Serait-ce que la laideur de l’anachorète tient au fait que la discipline chrétienne répugne à M. Nietzsche  (Généalogie de la morale) ?

Le Discours vrai de Celse ? Un vrai « faux-récit », propre à alimenter le mélodrame imaginé par les néo païens qui pourrait s’intituler  « La triste histoire d’Europe, enfant de la forêt-germanique, victime d’un méchant venu des déserts d’Orient ». Comprendre de l’Eglise catholique. Un méchant de compétition car le mélo n’exigeant ni du vrai ni de la vraisemblance, ne s’embarrasse ni de ce qu’elle dit d’elle-même ni de ce que disent d’elle depuis 2000 ans la philologie, l’exégèse, l’histoire, l’archéologie.  De « de grands efforts ont été fait, écrit Dominique Venner, pour interdire aux européens de retrouver dans leurs ancêtres leur propre image, pour leur dérober leur passé et faire en sorte qu’il leur devienne étranger ». Dans un mélo, tout est bien qui finit bien. La malheureuse enfant a ployé mais n’a pas rompu et « se réveillera sous l’ardeur de l’amour que nous lui portons » (Dominique Venner Histoire et traditions des Européens, ed. du Rocher, 2004). Une histoire à faire pleurer  Gretchen !

Au risque  de l’histoire vraie

         De leur propre aveu les néo païens cherchent une « alternative au christianisme » mais qu’est-ce qui, au juste, les rend si acariâtres ? Au 2ème siècle l’auteur inconnu de la Lettre à Diognète, un haut dignitaire païen en quête de Dieu, constate que « ceux qui détestent les chrétiens ne peuvent pas dire les causes de leur hostilité ». Et quand ils en formulent, ils finissent par en donner tant qu’elles se télescopent. Le « poison » du christianisme (A. de Benoist) sécrète tous les maux de la planète, communisme, socialisme, égalitarisme, impérialisme américain, fanatisme, industrialisme… (pour l’extinction des dinosaures, on discute encore). Tout et le contraire de tout, histoire de montrer l’ampleur de la « catastrophe » (A. de Benoist). Chesterton s’est amusé à lister ces contradictions (Orthodoxie, Gallimard, 1984) : le christianisme professe un pessimisme traumatisant mais aussi un optimisme de nursery, il prêche la passivité mais aussi l’agressivité, il est trop particulier pour être universel et rabâche des banalités du sens commun, etc. N’en jetons plus la cour est pleine ! Et Chesterton, d’en conclure « Peut-être est-ce le christianisme qui est sain et tous ses contradicteurs qui sont malades ? »

Jean Madiran soupçonnait dans la Nouvelle Droite une entreprise de gauche (Itinéraires n° 236 1979). Pour Raymond Bourgine « La Nouvelle Droite, c’est fondamentalement Alain de Benoist et ce n’est pas une droite » (Le Spectacle du Monde n° 243 1982). Quoiqu’il en soit,  il faut bien convenir qu’elle fonctionne sur une transposition de « la lutte des classes en choc des  religions ». Or quand survient l’heure du Christ, le polythéisme est exténué. Les philosophes en sont venus à penser que toute chose ayant une cause, l’existence d’une Cause Première satisfait la raison. Quant à « la grande masse des païens très ordinaires (…) attachés à leur religion de famille plus par tradition que par conviction, sans peut-être oser se le dire, tout cela était de l’histoire ancienne, du folklore, et en tout cas du réchauffé » (Lucien Jerphagnon, spécialiste de la pensée antique, Histoire de la Rome antique Fayard 2016). La pléthore de l’offre religieuse n’arrange rien. Aux dieux grecs, assimilés aux dieux romains (laborieusement car « en Grèce l’essentiel de la religion n’est sûrement pas indo-européen » écrit G. Dumézil L’idéologie tripartite des indo-européens, Latomus, 1958, vol. XXXI, p. 58) et aux mortels, héros ou empereurs divinisés, se sont ajoutés des divinités asiatiques dont l’histoire est encore plus embrouillée. Tous tant qu’ils sont, ces « immortels »  ressemblent bien trop aux mortels pour dire quelque chose de l’homme et du monde. Et Pilate, représentant de la puissance impériale, demande désemparé au Christ « Qu’est-ce que la vérité ? ».     A la différence de leurs émules actuels, la question tracasse les païens de jadis. D’aucuns cherchent la réponse dans le judaïsme (l’Empire compterait 10% de  juifs ce qui suppose des conversions), dans la gnose, l’ésotérisme, l’hermétisme où « en dehors des vieilles idées dualistes de la tradition orphique artificiellement galvanisées, il n’y a guère qu’un tissu de rêveries cosmogoniques dont la complication laborieuse cache mal le creux » (L. Bouyer, La Bible et l’Evangile, Cerf, 2009). En vogue également les « religions à mystère » où, dans une quête personnelle, l’initié tente d’approcher un dieu qui, souffrant, mourant puis ressuscitant, dirait quelque chose de la condition humaine. « Dans ces mystères souvent puérils, les hommes cherchaient, sans le connaître encore, un autre mystère…Un jour les ombres et les images se sont dissipées parce que la réalité était venue » (L. Bouyer,  Le mystère pascal, Cerf, 2009, p. 21). Certains en concluent un peu vite que le christianisme n’est qu’un copier-coller. C’est oublier que la documentation sur ces cultes, dont, soit dit en passant, « saint Paul semble en ignorer jusqu’à la terminologie »  (L. Bouyer, op. cit.), est postérieure aux débuts du christianisme. Elle reflète donc possiblement un infléchissement au contact du christianisme (cas du bouddhisme : https://www.youtube.com/watch?v=KfW1bLSLNVk). Eventualité qu’illustre d’ailleurs une tragédie du stoïcien Sénèque (1er siècle)   (http://www.eecho.fr/hercule-de-seneque-contacts-avec-le-christianisme/). De sorte que le copieur ne serait pas celui  qu’on dit. Par dessus tout, pas plus qu’un moulin à prière n’est l’équivalent du rosaire, le Christ n’est un remake d’Adonis. Ce morne avatar du vieux conte mésopotamien de l’éternel retour cher à Nietzsche, souffre et meurt malgré lui, puis renaît tel qu’en lui-même jusqu’au cycle suivant, « Du myste aussi l’initiation ne faisait une créature nouvelle que pour quelque temps. Rien d’éthique dans ce mysticisme car rien de vraiment ontologique » (L. Bouyer, op. cit.).

Il y eut certes des empereurs qui pour des raisons politiques passèrent à l’attaque. Toutefois un « choc de religions » parait d’autant plus problématique que « l’idée qu’un roi sauveur doit venir, en ces temps là, de Judée est présente chez les peuples de l’Orient et cette attente était connue en Occident » (Sedes sapientiae n° 138 déc. 2016). Idée si répandue que les historiens officiels en font état. Elle court « par tout l’Orient » (Suétone, Vie des douze césars, Vespasien, IV 9-10), « la plupart en étaient persuadés » (Tacite, Ann. 5,13,4). Et aussi Cicéron (De divina 11,54) Flavius Joséphe, Dion Cassius. Depuis des siècles, les prophètes l’ont annoncé à Israël et les Esséniens, qui l’ont daté avec une étonnante approximation, se sont retirés au désert pour s’y préparer. Les astronomes de l’antique Babylone aussi l’ont prévu plus de 1000 ans av. J- C (calendrier de Sippar). En Occident, Virgile  rappelle cet oracle de la Sibylle de Cumes : « Un enfant nouveau-né sous le règne de l’empereur Auguste éliminera la génération de fer et suscitera par tout le monde une génération d’or » (Bucoliques 4ème églogue) et saint Augustin (4ème siècle) celui de  la Sibylle d’Erythrée : « Le Roi descend sur les siècles futurs pour régner dans la chair » (La Cité de Dieu 18,23). Prophétie ou pressentiment, la Gaule semble avoir vénéré « la vierge qui  doit enfanter » (Long-pont, Nogent-sous-Coucy, Chartres).

Arrivé à ce point, tout esprit normalement constitué en conclura que le grand Pan est tout bonnement mort de vieillesse. L’empereur Julien (4ème siècle) et d’autres échoueront à le réanimer. Inexorablement « la religion romaine va évoluer vers le monothéisme et préparer la place au christianisme. Par réaction, au 3ème et 4ème siècle, le paganisme retourne aux formes du passé mais inutilement car il a définitivement perdu la partie » (J. Bayet directeur de l’Ecole française de Rome Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Payot,  1957 http://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1972_ant_11_1_1529). Les temps changent.  Palladas, poète grec païen du 5ème siècle s’en désole : « Si nous sommes des vivants, écrit-il, c’est que la vie même est morte ». A noter qu’il figure dans une Anthologie palatine de l’époque, à côté de… saint Grégoire de Nazianze, docteur de l’Eglise. On voit par là que le christianisme, devenu religion d’Etat, fait plus que tolérer les païens. Malgré quoi de Benoist affirme doctement dans une interview (http://www.bvoltaire.fr/islam-christianisme-intolerance) qu’ « en 356 le paganisme fut décrété passible de mort ». D’entrée, une mise hors la loi de 80% de la population parait un tantinet farfelue. Quant à postuler que le christianisme est aussi terroriste que l’islam, un parallèle entre les lenteurs de la christianisation et les foudroyantes conquêtes des cavaliers d’Allah suffit à dénoncer le sophisme. Pour l’étayer A. de Benoist profère un gros bobard, son érudition excluant l’erreur de bonne foi. En 356 ce que Constance II interdit (https://fr.wikipedia.org/wiki/Constance_II) ce sont les pratiques magiques et divinatoires. Faut-il comprendre qu’interdire de lire l’avenir dans le foie des enfants sonne le glas du paganisme ? A coup sûr le cas Palladas sera mis au compte de la tactique « j’embrasse mon rival mais c’est pour l’étouffer » dont l’Eglise serait coutumière. L’exemple incessamment resservi est qu’elle n’a fixé la naissance du Christ au 25 décembre que pour capter la chaleur de Sol Invictus dont l’empereur Aurélien, sans doute désireux de consolider l’Empire en catalysant les religiosités éparses sur une divinité qui fasse consensus, instaura le culte en 274 avec célébration le 25 décembre. Lorsqu’il traite de la Nativité, le Cal Schuster indique que le document le plus ancien qui la place au 25 décembre est le calendrier philocalien de 336 (Liber sacramentorum tome 2, p.178). Sans doute le rédacteur écrit-il 62 ans après l’édit d’Aurélien sauf que en tant que simple « chronographe  il n’annonce évidemment rien de nouveau mais se fait l’écho de la tradition romaine antérieure qui dans le Liber Pontificalis prétend remonter au pape Télésphore  (1er siècle) ». De même « dans le discours du pape Libère (352366) donnant le jour de Noël le voile à Marcelline, sœur de saint Ambroise, on ne relève aucune allusion à la nouveauté de la fête mais au contraire tout le contexte donne l’impression d’une solennité de vieille date ». Ce modus operandi n’est pas rare dans l’histoire de l’Eglise. En fait, rien  n’interdit d’inverser l’accusation : Sol invictus visait à « étouffer » Noël.

Selon le médiéviste Jacques Le Goff (1924-2004) le passage de la culture païenne à la culture chrétienne marqué par des « destructions, des oblitérations et des dénaturations », c’est du brutal. Des destructions soit mais on est loin de la damnatio memoriae à la romaine ou à la musulmane. Dans sa lettre de mission pour l’évangélisation de l’Angleterre, le pape Grégoire le Grand, Père de l’Eglise (6ème siècle) recommande de ne pas détruire les temples païens. L’antiquité nous a légué nombre de temples toujours debout après 2000 ans d’une histoire agitée et nos musées sont peuplés de statues de ses dieux. C’est vrai pour le pourtour de la Méditerranée. Saint Grégoire méconnait qu’au delà, l’archéologie en atteste, il y a peu d’édifices « en dur » à jeter bas. Le sacré s’y exprime dans des sites naturels, montagne, bois, sources, voire la tombe d’un chien guérisseur (diocèse de Lyon 13ème siècle). Au demeurant, l’historien Pietro Boglioni nuance le schéma de Le Goff  (« Dans la réalité des situations concrètes, [les choses] se présentent à nous comme entremêlées dans une variété de synthèses originales qui comportaient, à la fois destruction de certains éléments de la culture païenne antérieure, récupération orientée d’autres et dénaturation proprement dite ». (https://assr.revues.org/17883?lang=en). Reste que parler de récupération orientée et de dénaturation là où d’autres historiens, moins célébrés mais non moins savants tel Jean Bayet discernent des évolutions n’est pas sans dénoter un certain parti-pris.

Le christianisme ne proposait pas de « faire table rase du passé » mais de changer de perspective pour remettre non pas tout en cause, mais tout à sa place. La conversion est, au sens propre, un retournement, pas une métamorphose. « Examinez toutes choses et retenez ce qui est bon » écrit saint Paul aux Thessaloniciens (5-21). Le paganisme comportait une part luxurieuse et ténébreuse indiscutable, quoique peu évoquée, qui exprimait les obsessions inhumaines qui hantent l’homme depuis le péché originel. Le christianisme les a combattues mais elles le hanteront jusqu’à la fin des temps, dit la parabole du bon grain et de l’ivraie. Cependant, dans la mesure où le paganisme était innocent et proche du naturel, l’Eglise l’a assumé en tant qu’ « épure bien floue et bien maladroite de ce que Dieu s’apprêtait à donner à l’homme en répondant à ses désirs les plus profonds » (L. Bouyer, op. cit.). A dire d’experts. Selon saint Justin (2ème siècle), qui se convertit après avoir suivi le cursus  philosophique  de l’époque, il y a dans le paganisme  des « semences du Verbe », une « préparation au Christ » (2 Ap. 8-1). Selon saint Augustin (4ème siècle) « l’Eglise n’était pas absente des débuts du genre humain » (Enarr. In Ps 118,29,9) et selon le pape Léon le Grand (5ème siècle) « ce qu’apporte l’Incarnation concernait le passé autant que le futur »  (Sermon 3 sur la Nativité n°4). En somme  « ce que la loi et les prophètes réalisaient en Israël s’était toujours accompli pour l’ensemble des nations par d’autres moyens » (saint Prosper d’Aquitaine, disciple de saint Augustin, De vocatione omnium gentium, II-33). Deo gratias !

A de P