Le christianisme « m’a tuer » – 2

Je suis chargée de vous le dire pas de vous le faire croire (Sainte Bernadette Soubirous)

 LE CHRISTIANISME M’A ‘’TUER’’ (2)

          Par Jupiter ! Qu’ils étaient aimables ces dieux païens qu’a supplantés un dieu moche, bête et méchant venu de Judée ! Une « catastrophe » ! Ainsi parle Alain de Benoist, le maitre à penser du néo-paganisme, dans une  Disputatio  avec Rémi Brague (vidéo en ligne). Ah ! que revienne le sain et frais polythéisme indo-européen ! L’idée, qui n’est pas neuve, est à la mode sous deux espèces. Il y a ceux qui vont cueillir le gui au solstice avec une serpette en or et puis ceux qui, dédaignant ces « druides d’opérette », pensent. Depuis les années 70, leur Groupement de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne (G.R.E.C.E) se veut « Nouvelle école ». Baptisé « Nouvelle Droite » par les médias, sa composition est instable et ses positions fluctuantes. Un invariant toutefois : la cathophobie.

Dans son mémoire Les intellectuels de la Nouvelle Droite et la religion – Histoire et idéologie d’un antichristianisme de  droite (université de Fribourg http://religion.info/pdf/2005_12_moos_nd.pdf), Olivier Moos livre une étude pertinente de cette mouvance dont le pontifex maximus, Alain de Benoist, auteur  surabondant et très répandu (sur le site de l’association des « Amis d’A. de B. » la liste des œuvres de et sur A. de B. occupe 22 pages), définit ainsi l’objectif : « Ce que nous cherchons derrière le visage des dieux et des héros  ce sont des valeurs et des normes (opposables au christianisme, of course) » (Comment peut-on être païen ? ed. Albin Michel). Il y faut donc une reconstitution faciale préalable. Entreprise bien hasardeuse avec des données éparpillées façon puzzle : textes et vestiges archéologiques pas toujours déchiffrables, hypothèses linguistiques, survivances folkloriques. Beaucoup de pièces manquent. La mythologie nordique, chère aux penseurs allemands qu’apprécient les grécistes, tient en deux poèmes, les Eddas, mis par écrit en Islande au 13ème siècle. En somme, un tas de fragments disparates d’une mythologie éclatée dont l’interprétation reste d’autant plus hypothétique que l’univers mental qu’elle habitait n’est plus le nôtre. Autrement dit « aujourd’hui nous ne savons guère autre chose du paganisme que ses contes et ses songes » (Chesterton L’homme éternel ed.DMM). Le néo paganisme ou la clé des songes …

Des « contes » qui forcément s’expriment surtout dans des textes littéraires puisque « [le paganisme] cherchait à atteindre la divinité par l’imagination seule et, dans ce domaine n’était limité en rien par la raison, écrit encore Chesterton. Religion et raison sont demeurées étrangères, …C’est seulement lorsque de tels cultes furent sur leur déclin ou sur la défensive que certains néoplatoniciens et quelques brahmines tentèrent de les intellectualiser ». Certes l’antiquité compta aussi des philosophes, abstracteurs a priori d’une quintessence qui nous rendrait le paganisme moins inintelligible. Sauf que « le philosophe pouvait s’interroger sur l’univers, dit Chesterton encore, cela n’en restait pas moins un passe-temps personnel…il ne se trouvera que très rarement sur le plan des institutions religieuses populaires… En réalité, mythologie et philosophie ont suivi leurs cours comme deux fleuves parallèles jusqu’à ce que la mer chrétienne les réunisse. Les laïcistes continuent à professer que l’Eglise a introduit une sorte de schisme entre la religion et la raison. La vérité est que l’Eglise fut la première à jamais tenter de les associer ». Nietzsche dont la Nouvelle droite fait ses choux gras s’enthousiasme des « valeurs » qu’il trouve derrière la figure de Dionysos mais pour les spécialistes elle reste  « pleine d’ambiguïtés sibyllines » (Pierre Bonnechère Le sacrifice humain en Grèce ancienne – PUL  http://books.openedition.org/pulg/1039). Il était une fois le néo-paganisme…

Etre néo-païen serait parait-il aussi une question d’esthétisme. Difficile pourtant  de trouver de la classe à cet Olympe que Chesterton qualifie de « poulailler de volailles égrillardes ». D’autant plus que, Eros et Thanatos faisant bon ménage, lesdites volailles veulent du sang. Du sang des bêtes et du sang des hommes. Chez les « barbares » de Gaule, de Germanie, du Danemark. En Grèce et à Rome aussi. Le radieux Apollon veut que quatorze jeunes Athéniens des deux sexes soient livrés chaque année au Minotaure et Artémis la Bonne Conseillère qu’Agamemnon saigne sa fille Iphigénie pour obtenir bon vent. Contes à dormir debout ? Parlons histoire alors. Pour vaincre à Salamine, Thémistocle sacrifie trois prisonniers à Dionysos. Lors de la fête des Thargélies, les Grecs, trucident en foule un quidam « prévu pour », le pharmakos, (à Athénes on le lapide, à Leucate on le jette d’une falaise). Et autres faits semblables rapportés par près de soixante auteurs latins (J-Y Fournis, Le sacrifice humain dans la littérature latine – thèse de doctorat https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00841691/document). Formatés par la romanolâtrie de rigueur depuis la Renaissance, les auteurs d’aujourd’hui, visiblement embarrassés, s’empressent de souligner que leurs homologues latins sont plutôt désapprobateurs. Françoise van Haeperen (université de Louvain) doit cependant reconnaitre que « les Romains se sont eux aussi livrés, rarement il est vrai, à de telles pratiques dans le cadre de la religion publique… dans le contexte de péril imminent les Romains ont à plusieurs reprises  ensevelis vivants des couples de Grecs et de Gaulois au Forum Boarium » (http://www.academia.edu/1067179/Mises_%C3%A0_mort_rituelles_et_violences_politiques_%C3%A0_Rome_sous_la_R%C3%A9publique_et_sous_l_Empire). Rarement ? Oui-da. A condition d’ergoter sur la fiabilité des témoins (surtout s’ils sont chrétiens) et/ou la qualification des faits. C’est pourtant bien sur l’autel de César fraîchement divinisé qu’Auguste sacrifie 300 Pérugins (Suétone Vie d’Auguste 15,2) et c’est pour remercier les dieux de la prise de Jérusalem que Titus, « les délices du genre humain », décrète des « jeux » qui voient s’étriper 5000 paires de gladiateurs (Flavius Joseph La guerre des Juifs). « On n’est pas chez les Aztéques !» rétorque de Benoist à Rémi Brague. Pour sûr, Titus ne dédiait pas l’hécatombe à Huitzilopochtli.

Le culte privé n’est pas en reste. Pour honorer les dieux Mânes, un rituel (qui ne sera interdit qu’en 325 par Constantin) veut que  les funérailles d’un proche s’accompagnent d’un combat à mort entre deux bustuari. « Bien que privée, commente J-Y Fournis (cité plus haut) cette cérémonie sanglante est réalisée dans le cadre de la religion et l’acceptation de la mort par le vaincu n’en réduit pas pour autant son caractère de sacrifice humain ». Plus outre, la piété domestique s’accompagne volontiers de magie plus ou moins noire car  selon Marcel Le Glay  « religion et magie font bon ménage » et même « se confortent l’une l’autre » (Magie et sorcellerie à Rome  https://www.rechercheisidore.fr/search/resource/?uri=10670/1.0szst7). On sait par Ovide combien les pratiques magiques sont populaires. Avec l’Empire, elles gagnent les milieux aristocratiques et cultivés sous l’influence des pythagoriciens. Or certaines exigent des victimes humaines dans une mesure d’autant plus difficile à évaluer que les  esclaves, ces « choses » en droit romain, font un matériau victimaire commode. Certes, en 90 av. J-C un sénatus-consulte interdit le meurtre rituel (ce qui prouve sa pratique dit Pline – Nat. 30, 12). Malgré quoi, plus de 30 ans après, Cicéron accuse Catilina d’avoir sacrifié un homme pour le succès de sa conjuration et le préteur Publius Vatinius « d’apaiser les dieux Mânes avec des entrailles d’enfants ». Difficile d’abolir ce que le culte public s’autorise, fusse « rarement ». Les sacrifices humains resteront plus ou moins admis là où ils sont « d’usage ». Notamment à Carthage pourvu que les enfants  qu’on brûle vifs soient des esclaves. A vrai dire les néo dévots des dieux du Walhalla et de l’Olympe restent assez évasifs sur ce trait peu séduisant, voire versent dans le négationnisme. Lors de la  Disputatio, A. de Benoist renvoie le sacrifice humain dans un passé reculé, sorte d’enfance du paganisme. Pourtant Françoise van Haeperen traite de la République et l’Empire. Au 1er siècle ap. J-C, Philostrate raconte comment les Ephésiens lapident un mendiant pour obtenir d’Héraclès la fin d’une épidémie à l’instigation d’Apollonius de Tyane (Vie d’Apollonios). Au 2éme siècle Pausanias (Description de la Grèce livre 8) mentionne les sacrifices d’enfants à Zeus sur le mont Lycée et  Dion Cassius, relayé au 3ème siècle par Lactance et Prudence, évoque le meurtre rituel qui ouvre les fêtes de Jupiter Latialis (Histoire romaine). Trois siècles où des chrétiens furent par intermittence allégrement sacrifiés aux dieux de la Cité. Le savoir dont M. de Benoist fait volontiers montre étant encyclopédique, il est dans le déni. Aurait-il peur peut-être d’être amené à convenir avec Nietzsche que « l’espèce ne survit que grâce aux sacrifices humains…Et cette pseudo humanité qui s’intitule christianisme veut précisément imposer que personne ne soit sacrifié » (Œuvres philosophiques complètes vol 14 Gallimard p. 224) ? Indubitablement le christianisme nous a appris beaucoup de choses sur le sacrifice. Ayant exploré en anthropologue La violence et le sacré (ed. Grasset) René Girard a démonté ces « vieilles solutions sacrificielles »  imaginées par les sociétés archaïques pour fonder et/ou restaurer l’ordre jusqu’à ce que le Christ vienne en révéler définitivement « la caducité et la vacuité » (Des choses cachées depuis la fondation du monde et alii – Poche). M. de Benoist qui est omnicompétent, conteste évidemment ces travaux, ajoutant que l’université française a ignoré R. Girard car « inapte au débat » (article René Girard wikipedia). L’Académie française et les universités américaines en ont jugé autrement.

La Disputatio comporte aussi son moment révisionniste quand de Benoist  accuse les chrétiens d’avoir été aussi persécuteurs que les autres. Le monumental Liber sacramentorum du Cal Schuster contredit formellement qu’ils furent gens à en découdre. Au surplus vu qu’ils ne sortirent des catacombes qu’une centaine d’années avant que Rome ne tombe, ils n’en auraient eu ni le temps, ni les moyens, compte tenu de leur faiblesse numérique. Serait-ce une tentative d’amalgame en dérivant  vers la cathophobie la possible islamophobie de l’auditoire ? Sauf que si l’islam s’impose par le « guerre sainte », le christianisme, lui, s’enseigne. Depuis la Genèse jusqu’à st Jean, le Dieu des chrétiens est Parole, Verbe, Logos. Le Christ a parcouru les routes en enseignant puis a envoyé ses disciples « comme des agneaux au milieu des loups » (Luc X, 1) porter, sans armes ni bagages, la Bonne Nouvelle à toutes les nations. « La foi vient par l’oreille » écrit saint Paul (Rom X, 17), apôtre des Gentils i.e. des païens. Une fois acquis au Christ ce pharisien ne martyrisa plus personne. Ainsi firent, parmi tant d’autres, au 5ème siècle saint Patrick et ses deux neveux qui convertirent les Irlandais. Certes Théodose le Grand interdit les pratiques divinatoires en 381 puis décrète le christianisme religion d’Etat en 392, les autres cultes étant interdits. Pour autant il n’entreprend pas d’en exterminer les adeptes. Certains temples, comme le Sérapéion d’Alexandrie, firent, il est vrai, les frais de manifestations populaires musclées. Vivre au contact du  paganisme réel en donne sans doute une vision moins idyllique que celle des grécistes. La thèse du conflit aveugle entre deux confessions est un scénario dont le Pr Bertrand Lançon (université de Poitiers) a démonté le simplisme (Théodose ed. Perrin).  A la toute fin, quand bien même le principe de non contradiction n’embarrasse guère les néo- païens, eux qui tiennent les chrétiens pour des moutons bêlants castrés par une « morale d’esclave » ne peuvent les traiter de tigres mangeurs d’hommes quand ça leur chante. Faudrait choisir.

 

« A l’habit lumineux du « porteur de lumière » vaut-il mieux désormais préférer le physique disgracieux de l’anachorète ? » fait mine de se demander A. de Benoist. (L’éclipse du sacré p. 136) Question de pure rhétorique. En somme, celui qui se retire du monde pour se consacrer « à la prière et à l’Eucharistie »  (définition de l’anachorète) en plus d’être moche forcément, serait un malfaisant qui éteint la lumière. Mais où va-t-il chercher tout ça ?  ( à suivre)

A de P