Fumier !

 

Il était une fois un jeune couple désireux de s’installer dans la belle province de Normandie, afin d’y couler des jours heureux et d’y fonder une famille. A l’hiver 2017, ils trouvent enfin la maison de leurs rêves : une ferme datant de 1829, sise sur près de treize hectares de terres. Que demander de mieux ?
Au printemps suivant, ils peuvent enfin emménager ! Bien vite, les cartons sont déballés, les meubles assemblés, la vaisselle rangée : il est alors temps de se mettre au travail… dans le jardin et dans les prés. Treize hectares, c’est beaucoup pour deux chevaux et un poney, appartenant aux nouveaux propriétaires. L’idée de louer les prés à d’autres cavaliers en mal de pâtures pour leurs montures germe alors dans l’esprit du jeune couple. Aussitôt dit, aussitôt fait : les clôtures sont réparées, et les abreuvoirs nettoyés. Les premiers clients se présentent alors, timides, étonnés de retrouver de la vie dans ce haras aux prés dormant depuis de nombreuses années.
Afin d’accroître la visibilité de leur pension de chevaux, le jeune couple demande une inspection sanitaire des lieux, nécessaire pour recevoir l’agrément de la Fédération Française d’Équitation (FFE). Au moment de l’inspection, tous les signaux sont au vert, sauf un : la fumière ! En effet, ce lieu où le crottin des chevaux passant la nuit au box est entreposé n’est pas aux normes : il devrait posséder une dalle en béton et être mieux isolé, afin de ne pas contaminer les sols. L’écologie, Messieurs dames ! Pensez à vos enfants : souhaitez vous leur léguer une terre acide, stérile, polluée ?
Bien sûr que non Monsieur l’inspecteur ! Mais laissez nous vous expliquer ce qu’est véritablement l’écologie… Cette fumière est encadrée de palissades en bois auxquelles est accolé notre poulailler. La décomposition du fumier, grâce à des millions de bactéries et d’insectes provenant du sol dont vous voulez nous couper par du béton, dégage une chaleur de 70 degrés. Le bois étant une matière naturelle perméable, il laisse passer cette chaleur à l’intérieur du poulailler où nos cocottes vivent confortablement et pondent quotidiennement toute l’année, même en plein hiver lorsque les température dégringolent en dessous de zéro. Ainsi, nous consommons des œufs frais n’ayant pas nécessité de transport routier ni de conditionnement plastique, ce qui réduit d’autant notre emprunte carbone.
Et puis, Monsieur l’inspecteur, regardez notre potager, nos courgettes énormes, nos concombres innombrables, nos tomates géantes. Ce festival de légumes pousse les pieds dans le fumier. Nous le transportons chaque automne et l’épandons en couche épaisse sur nos zones de culture afin de les enrichir. Cet engrais naturel est un véritable or noir : il amende les sols en leur apportant de la matière organique et nourrit de nombreux insectes – notamment des vers de terre – qui, en le décomposant, aèrent et ameublissent le sous-sol. Ce n’est pas un hasard si le coq français chante les pieds dans le fumier : c’est qu’il sait reconnaître sa richesse nourricière !
Non. Monsieur l’inspecteur n’est pas d’accord : il est là pour faire appliquer un règlement et, dans ce règlement, il est dit que le fumier pollue, qu’il faut l’isoler des sols et l’évacuer à force de camions ; il n’y est pas dit que l’on peut créer une organisation circulaire où les déchets des uns créent la nourriture des autres, sans produit de synthèse, sans émission de dioxyde de carbone, et sans déperdition d’énergie.
Le jeune couple remercie alors l’inspecteur pour ce cours d’écologie politique et décide de rester fidèle à l’écologie naturelle : ils se passeront bien de label ! Un an plus tard, leur pension de
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chevaux est remplie : quatorze équidés s’ébattent dans leurs prés et produisent des crottins qui continuent d’alimenter la fumière, pour le plus grand bien des poules et du potager.

HRC.