Journal de bord d’une française en Italie, épisode 4.

 

Le temps a passé. Les deux jeunes femmes ont fermé leur café. Je les ai croisées hier. Elles ouvrent une boutique ailleurs, cette fois dans l’alimentaire. En cas de nouveau « lockdown », m’ont-elles dit, on ne devrait pas les contraindre à fermer. On ne ferme pas les « commerces essentiels ». Speriamo, m’ont-elles dit, fumant une cigarette à la porte de leur café vide. Je ne les verrai sans doute plus, car c’est ailleurs qu’elles s’installent.
La veille, je me suis rendue à l’anniversaire d’une camarade de classe de mon fils. Elle fêtait ses six ans. Le goûter avait lieu dans le hall d’entrée de l’habitation des parents, un palazzo du XVIIIe siècle. Les mamans parlent entre elles. Toutes ont retiré leur masque. Ici, il n’y a pas de flics. On parle bientôt du sujet phare : le covid et ses conséquences. L’une nous dit que son mari, atteint d’un cancer en phase 3, s’est vu imposer sur son dossier la mention covid. C’est rien, le cancer, c’est sûr. Le covid, même non décelé, est tellement plus important. Une autre, pharmacienne, renchérit : sa mère morte la semaine dernière est supposée avoir été emportée par le covid. Cette même pharmacienne et son mari ont dû se faire vacciner, de force. Après avoir d’abord refusé, le conseil de l’ordre des pharmaciens italiens les a menacés de fermer leur officine. Pour ne pas se retrouver à la rue, ils ont dû céder. Trois filles à charge, évitons de jouer les rebelles. Une autre raconte la manière dont s’est passé un récent mariage : contrôle des tests à l’entrée, certains restés dehors. Rosita, la pharmacienne, a le regard doux et un peu résigné. Elle est croyante et s’en remet à Dieu. Que seront les conséquences de ces vaccins dans 20, 30 ans? Nos enfants auront-ils la force d’affronter ce qui risque de se produire alors? Ils sont là, nos enfants, courant après des ballons multicolores sur le carrelage en terre cuite patiné par le temps. C’est bien que nous nous soyons enfin rencontrées, dit Rosita. Avec tous ces événements, les parents d’élèves n’ont même pas pu faire connaissance. Et pour se retrouver sans devoir montrer patte blanche à qui que ce soit, les parents ont choisi pour lieu de fête l’entrée sombre, quoique sublime, de leur immeuble du centre-ville. Le covid a tué la société, lâche soudain Mira, une Russe en courte robe moulante et aux lèvres refaites. Toutes les femmes présentes sont d’accord. Ils ont tué la société. La petite souffle fièrement les bougies de son gâteau d’anniversaire. Six ans!  Speriamosperiamo qu’en septembre, les choses ne vont pas recommencer. Oh si, certainement, déclare la femme du cancéreux, le teint rendu livide par la fatigue. C’est comme pour les guerres mondiales, on en a pour 5 ans. Je réalise que tous, ici, ce petit groupe de parents réunis à l’abri des pierres fraîches et silencieuses, sont unis par un secret commun : le covid nous tue, mais pas comme le disent les médias.
À la fin de la fête clandestine, où pas un « geste barrière » n’a été respecté, les femmes et leurs enfants sortent dans la rue par petits groupes et, rejoignant l’animation de la ville, remettent leur masque.
Speriamo.