« Les vérités ont été diminuées par les enfants des hommes »

« Les vérités ont été diminuées par les enfants des hommes » (Ps. XI, 1)

« On voudrait dans l’immédiat que je sois un saint mais je suis, mes amis, un homme » nous déclarait récemment un présidentiable contraint de reconnaitre qu’il n’était pas aussi impeccable que le prétendait son service de communication. Cela ne le dissuadait pas pour autant de briguer les plus hautes fonctions d’une France dont il a contribué à l’asservissement, comme bien d’autres il est vrai.
Quoi qu’il en soit, cette dichotomie opposant sainteté et humanité, et non pas sainteté et péché, a de quoi surprendre dans la bouche d’un « catholique affiché ». La sainteté serait-elle incompatible avec la nature humaine ? Ou entendrait-on que la sainteté serait destinée aux consacrés, à une élite de fidèles, mais serait inaccessible, si ce n’est nuisible, aux hommes d’Etat ? « Il faut arrêter de penser que les hommes politiques doivent être des saints. C’est une hypocrisie ! », nous assénait en ce sens l’un des plus fervents soutiens dudit candidat, catholique lui aussi. Que les politiciens, exposés à de continuelles tentations, ne soient pas des saints, c’est ce que l’on peut d’autant plus craindre qu’ils se tiennent éloignés des sacrements. Mais que les hommes politiques n’aient pas à être saints, qu’ils n’aspirent pas à l’être, pas même ceux affichant leurs « valeurs chrétiennes » en période électorale, révèle à quel point la confusion voire le cynisme règnent dans le milieu politique français comme dans une grande part de la population.

« Sauvez-moi, Seigneur, car il n’y a plus de saint, parce que les vérités ont été diminuées par les enfants des hommes » (Ps. XI, 1).

Telle est donc l’origine du mal : l’affadissement doctrinal des « enfants des hommes » dont la compagnie est pourtant le délice de la Sagesse éternelle (Prov., VIII, 31). Et en effet, nombre d’entre nous ont oublié la sainteté dans laquelle furent créés nos premiers parents. Ils se sont accoutumés à la déchéance de notre nature au point de la considérer comme originelle. La sainteté n’est plus pour eux la perfection surnaturelle à laquelle Dieu ne cesse de nous convier : c’est au mieux une dangereuse illusion ; au pire, l’obstacle révoltant à un libre épanouissement dans l’hédonisme le plus effréné.
Renonçant de facto au Ciel dont le Paradis terrestre n’était que les prémices, ils n’aspirent plus guère qu’à vivre le plus longtemps possible en ce monde, libérés au mieux de ses souffrances et de ses imperfections : un bonheur prolongé et naturel (et non plus éternel et surnaturel). S’ils croyaient encore à l’éternité, ils troqueraient volontiers le Paradis céleste pour les Limbes, une ineffable intimité avec Dieu pour une « béatitude à échelle humaine » que la sensualité de l' »Eden musulman » ne tarderait pas à concurrencer.
Exagérant enfin l’autonomie de leur existence, qui ne cesse pourtant de dépendre de l’influx divin, ils en viennent à se croire dignes d’amour par eux-mêmes, et non plus comme objet de l’amour de Dieu, au titre de la création et plus encore de la rédemption (« Vous avez été rachetés à un grand prix », 1Co VI, 20). Coupée de ses fondements religieux, la dignité humaine se voit ainsi réduite à une dimension naturelle, « anthropologique », de plus en plus difficile à défendre : l’atteinte à la vie humaine n’est plus un « crime contre Dieu » (Dr Xavier Dor) mais contre l’homme, un homme « libéré » de sa condition de créature pour être au final souvent assimilé à un animal voire à un amas de cellules.

Faut-il dès lors s’étonner que dans ce monde privé du Dieu de Vérité, d’Amour et de Vie, le relativisme, la duperie, la haine de soi et de l’autre soient devenus la règle générale ? Le monde politique n’est que le reflet de notre société et nous avons les gouvernants que nous méritons, qu’ils soient laïques ou ecclésiastiques. Malheureusement, beaucoup trop de catholiques, sous couvert de « réalisme », en viennent à taire qu’ils sont enfants de Dieu, compromettant leur sanctification et la réforme vertueuse des institutions.

« Chacun d’eux a proféré des choses vaines à son prochain, leurs langues sont trompeuses, et ils ont parlé avec un coeur double » (Ps. XI, 2).

Reléguant leur foi dans la sphère privée, les uns prônent une France « laïque et républicaine » comme si le catholicisme pouvait être contraire au bien commun. Ils invoquent les « racines chrétiennes de la France » et célèbrent indifféremment les cathédrales et les sans-culottes, sainte Jeanne d’Arc et Robespierre. Les autres conçoivent des « points non-négociables » de façon restrictive (vie, famille, école) voire modulable selon les opportunités politiques. Ainsi peuvent-ils manifester en nombre pour la défense de la famille et passer sous silence la question de l’avortement ; défendre la vie mais uniquement sur des fondements naturels et dans des structures « aconfessionnelles ». De même, un politicien supposé pratiquant et défavorable au « mariage pour tous », pourra présider le Bilderberg ou spéculer sur les terres agricoles, comme si l’oppression des pauvres et le refus du juste salaire de l’ouvrier ne criaient plus vengeance devant la face de Dieu. D’autres encore, opposés à l’avortement sur le plan personnel, pourront en soutenir publiquement l’extension voire la « sanctuarisation » sans que leur éventuelle excommunication ne soit sérieusement évoquée, ni que le soutien des catholiques ne leur soit officiellement refusé.
Ce triste constat de l’incohérence de beaucoup de catholiques en politique nous ramène, au-delà des défaillances individuelles, à la perversité de notre démocratie que l’on a pu qualifier de « concurrence des démagogies » (Marcel Gauchet). Bien des élus, républicains convaincus, déplorent de plus en plus ouvertement l’impossibilité de défendre un programme fidèle à leurs convictions profondes. Tôt ou tard, il leur faut choisir entre ces dernières et la victoire électorale. De même, beaucoup d’électeurs optent pour le « vote utile » ou « le moindre mal », quitte à renier en pratique leur foi, avec ces mêmes bonnes intentions qui font le pavement de l’Enfer.

 « Il en est, et en grand nombre, Nous ne l’ignorons pas, qui, poussés par l’amour de la paix, c’est-à-dire de la tranquillité de l’ordre, s’associent et se groupent pour former ce qu’ils appellent le parti de l’ordre. Hélas ! vaines espérances, peines perdues ! De partis d’ordre capables de rétablir la tranquillité au milieu de la perturbation des choses, il n’y en a qu’un : le parti de Dieu. C’est donc celui-là qu’il nous faut promouvoir ; c’est à lui qu’il nous faut amener le plus d’adhérents possible, pour peu que nous ayons à coeur la sécurité publique. (…) Toutefois, pour que le résultat réponde à Nos voeux, il faut, par tous les moyens et au prix de tous les efforts, déraciner entièrement cette monstrueuse et détestable iniquité propre au temps où nous vivons et par laquelle l’homme se substitue à Dieu ; rétablir dans leur ancienne dignité les lois très saintes et les conseils de l’Evangile ; proclamer hautement les vérités enseignées par l’Eglise sur la sainteté du mariage, sur l’éducation de l’enfance, sur la possession et l’usage des biens temporels, sur les devoirs de ceux qui administrent la chose publique ; rétablir enfin le juste équilibre entre les diverses classes de la société selon les lois et les institutions chrétiennes ».
(Saint Pie X, Encyclique E Supremi, 4 octobre 1903)

L’abbé

Gabriel García Moreno

Homme d’État catholique. Il consacra l’Equateur au Sacré-Cœur en 1873 

 

 

« Vous n’avez ni part, ni droit, ni souvenir dans Jérusalem »

Cf. chronique précédente « Venez, rebâtissons les murs de Jérusalem ! » http://terre-et-famille.fr/venez-rebatissons-les-murs-de-jerusalem-nehemie-ii-17/

Bien que voulu par Dieu, le relèvement de Jérusalem après l’exil ne se fit pas sans obstacle : c’est ainsi que les justes gagnent en mérites et les impies en charbons ardents. En l’occurrence, Zorobabel souffrit des intrigues des Samaritains qui obtinrent du roi perse la suspension de la reconstruction du Temple (Esdras, IV, 23-24). Mais les prophètes exhortèrent bientôt les Juifs à braver l’interdit royal et le travail reprit sans que le gouverneur ne puisse s’opposer à son achèvement (Esdras, V, 5 – VI, 13). De même, Esdras eut à lutter âprement pour purifier les moeurs de Juda contaminées par celles de Babylone. Quant à Néhémie, appelé à rebâtir les remparts de la cité, il essuya d’abord les railleries des étrangers et de leurs alliés parmi les élites juives. Mais au fur et à mesure que l’entreprise avançait, les moqueries se changèrent en menaces et conspirations armées. Sans faillir, Néhémie, rappela aux ennemis de sa patrie le droit de son peuple sur cette terre : « C’est le Dieu du ciel lui-même qui nous assiste, et nous sommes ses serviteurs. Nous nous lèverons et nous bâtirons : mais vous, vous n’avez ni part, ni droit, ni souvenir dans Jérusalem » (Néhémie, II, 19-20). Et à ses troupes tentées de céder aux intimidations étrangères : « N’ayez pas peur d’eux ! Souvenez-vous du Seigneur, le Grand, le Terrible, et combattez pour vos frères, vos fils, vos filles, vos femmes et vos maisons » (Néhémie, IV, 14). Récompensant la fermeté des Juifs, Dieu ruina en effet les desseins des impies qui durent reconnaître dans la résurrection de Jérusalem l’oeuvre du Tout-Puissant (Néhémie, VI, 16).

L’élévation des défenses extérieures de la cité manifestait et soutenait le redressement moral de Juda. Reprenant confiance en ses initiatives, chaque corps et famille prit en charge l’édification d’une portion des remparts, des portes et des quartiers d’habitation ainsi que leur garde armée (Néhémie, III, 1-31). Le clergé convaincu de corruption et de collusion avec l’ennemi fut démis (Néhémie, XIII, 4-9, 28). Le respect du sabbat fut restauré au grand dam des païens qui venaient faire du commerce en ce jour sacré (Néhémie, XIII, 15-21). De même, l’usure fut abolie et les dettes asservissant le coreligionnaire remises. Enfin, les mariages contractés avec des nations étrangères furent annulés, moins par souci d’homogénéité ethnique que de pureté de la foi et de la langue (Néhémie, XIII, 23-27). C’est ainsi un peuple à nouveau maître de lui-même et de son destin qui renoua solennellement son alliance avec Dieu, initiateur et finalité de son relèvement (Néhémie, IX, 38).

A l’opposé de la restauration politique et sociale que nous recommande cet épisode de l’Ecriture Sainte, le personnel politique et associatif de France s’échine aujourd’hui plus que jamais, de façon consciente et assumée, à concevoir son action sans Dieu, à faire abstraction de son existence, de ses préceptes, de son intervention dans l’histoire. Mais qu’espérer dès lors d’une action politique méconnaissant Celui sans qui on ne peut rien faire (Jean, XV, 5), pas même se maintenir dans l’existence ? Que craindre d’autre que la dissolution de la société puisque rassembler sans le Christ, c’est disperser (Matthieu, XII, 30) ?

La France s’est épanouie, depuis son baptême, dans la certitude féconde que la foi catholique est vraie. C’est pourquoi elle ne peut rester elle-même sans la prééminence, cultuelle et culturelle, du catholicisme, au nom de la vérité doctrinale et morale dont l’Eglise est dépositaire. A ce titre, la liberté religieuse s’applique essentiellement à l’Eglise catholique qui tient du Christ le droit de gouverner, enseigner et sanctifier dans le monde entier (« Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc enseigner toutes les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », Matthieu, XXVIII, 18-19). En terre chrétienne plus particulièrement, toute religion, toute philosophie, toute institution s’opposant à la vraie foi n’a « ni part, ni droit, ni souvenir » à revendiquer comme l’erreur n’a aucun droit contre la vérité. Pourvu qu’il reconnaisse le catholicisme comme la seule bonne religion, l’Etat peut tolérer, selon les circonstances, le tranquille exercice des autres religions établies sur son territoire. En revanche, s’il permet toutes les religions parce qu’à ses yeux elles sont toutes bonnes ou parce qu’il estime la puissance publique incompétente à prendre parti dans cette matière, l’Etat est impie et athée, entrainant par une neutralité criminelle, les individus dans l’indifférence religieuse la plus absolue (Cf. Cardinal Pie, De l’intolérance doctrinale). Que penserait Néhémie qui fit respecter le Jour du Seigneur et abolir l’usure, devant une France laissant des lobbies financiers apatrides porter atteinte à son dimanche et ses fêtes, à ses saints du calendrier, à ses églises et ses signes religieux ostensibles, à la pureté de ses femmes et de ses enfants ? Qu’en pensent Clovis, saint Louis, sainte Jeanne d’Arc et tous les saints qui ont foulé et aimé cette terre de France avant nous ? Et au-dessus de tous, qu’en pense le seul vrai Dieu, Un et Trine ? Je doute qu’Il conçoive les rapports du spirituel et du temporel dans le même sens que bien trop de catholiques voulant oublier que la « laïcité » n’a été conçue en France que pour en déraciner le catholicisme. Nous ne gagnerons rien à vouloir utiliser les armes de l’adversaire. Cessons donc enfin d’être politiques, redevenons prophétiques ! Souvenons-nous du Seigneur, le Grand, le Terrible, renouons avec Lui l’Alliance qu’Il offrit à nos aïeux et combattons pour nos frères, nos fils, nos filles, nos femmes et nos maisons !

Sachez-le, peuples, et soyez effrayés !
Prêtez l’oreille, toutes les régions lointaines de la terre !
Ceignez [vos armes contre nous] et soyez effrayés !
Concevez un dessein [contre nous] : il échouera,
Dites une parole [contre nous] : elle ne se réalisera pas ;
Parce que Dieu est avec nous. (Isaïe, VIII, 9-10)

 

L’abbé

« Venez, rebâtissons les murs de Jérusalem ! » (Néhémie, II, 17)

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La Jérusalem en ruines que Zorobabel, Esdras et Néhémie découvrirent à leur retour de Babylone n’est pas sans analogie avec le triste état de notre pays : portes incendiées, murailles abattues, quartiers ravagés, sanctuaires rasés, population avilie, abandonnée de ses élites et méprisée de l’étranger (Néhémie, II, 13-17).

     De ce désastre, Dieu avait dénoncé depuis longtemps les causes (Ezéchiel, VII, 23-24) : « le pays est plein de jugements sanguinaires et la ville est remplie d’iniquité. Je ferai venir les plus méchants des peuples, et ils s’empareront de leurs maisons ; je ferai cesser l’orgueil des puissants, et on possédera leurs sanctuaires. L’angoisse survenant, ils chercheront la paix, et il n’y en aura pas. Il viendra épouvante sur épouvante, et rumeur sur rumeur ; et ils demanderont des visions aux prophètes, et la loi fera défaut aux prêtres ; et le conseil aux anciens. Le roi sera dans le deuil, le prince couvert de tristesse, et les mains du peuple du pays trembleront ; je les traiterai selon leurs oeuvres, et je les jugerai selon leurs jugements, et ils sauront que je suis le Seigneur ».

     Après soixante-dix ans d’expiation, le temps de la Miséricorde sonna enfin et les Juifs regagnèrent leur patrie avec l’injonction de Cyrus de rétablir le culte à Jérusalem. Telle fut l’oeuvre principale de Zorobabel qui restaura le sacrifice quotidien avant même d’avoir jeté les fondements du temple (Esdras, III, 6). Et ce n’est qu’après le rétablissement de la discipline ecclésiastique dans sa stricte observance que s’amorça l’érection du sanctuaire.

    Esdras avait, quant à lui, « préparé son coeur pour étudier la loi du Seigneur, pour exécuter et enseigner dans Israël des préceptes et des ordonnances » (Esdras, VIII, 10). Il se voua donc durant des années au « réarmement spirituel » de la population par l’enseignement et l’exemple de la foi et de la morale (Esdras, VII, 25). Alors vint le temps de Néhémie, qui récolta ce que ses prédécesseurs avaient patiemment cultivé. Le redressement spirituel de Jérusalem rejaillit enfin dans l’ordre politique : « se réjouissant de voir les prêtres et les lévites à leur poste » (Néhémie, XII, 43), les Juifs, réconciliés avec Dieu et eux-mêmes, rebâtirent les murs de la cité, une main à l’ouvrage, l’autre sur l’épée.

     Cet épisode glorieux de l’Histoire Sainte nous enseigne la démarche politique véritablement féconde, à rebours de l’agitation militante savamment entretenue en France ! Quelle que soit la cause, on nous trouve toujours de nouvelles raisons de courir. Pardon ! de nous « mobiliser ». Vous devez aujourd’hui sauver la France comme vous deviez hier sauver l’église Sainte-Rita de Paris, quitte à sacrifier des vacances méritées avec votre famille à l’autre bout du pays : « c’est maintenant ou jamais » (La Manif pour Tous), « avant qu’il ne soit trop tard », car « nous ne pouvons plus attendre » (Pétition Vos couleurs) : signez en bas à droite et embrigadez-vous derrière sainte Jeanne d’Arc, de Gaulle et les sauveurs de la Nation que l’on vous désignera, sous peine de passer pour des « couards » aux yeux de la « droite conservatrice » (Boulevard Voltaire 14 septembre 2016 – Vos couleurs : parce que cette présidentielle est la dernière avant la  tempête).

     Zorobabel, Esdras et Néhémie ne nous ont-ils pas montré que c’est la prière qui édifie les églises, la sainteté qui affermit les peuples ? Si un sanctuaire s’effondre c’est que ses fidèles « naturels » l’ont depuis longtemps déserté : Dieu s’est juste lassé de les y attendre. Il y aura toujours assez d’églises et de prêtres pour les catholiques fervents mais pour étendre à nouveau sur la France son blanc manteau, point besoin d’actions spectaculaires, d’agitation médiatique sans lendemain. Que chacun investisse à nouveau son église paroissiale, ne serait-ce qu’en y allumant un cierge, en y récitant le chapelet, en y faisant sonner l’Angélus. Que l’on y rétablisse, dans ses formes vénérables, le sacrifice eucharistique, cet extraordinaire face-à-face avec Dieu ; ce qui suppose déjà que les prêtres perdent la fâcheuse habitude de se réunir pour concélébrer au lieu de se répartir chacun dans les clochers environnants. De même ne faut-il pas s’étonner que le monde tourne de plus en plus mal depuis que la Liturgie des Heures parcourt le Psautier non plus en une semaine, comme autrefois, mais en un mois. Souvenons-nous enfin que pour Mère Térésa le « plus grand malheur du monde actuel » ce n’est pas la misère, la famine, les guerres et les catastrophes de toutes sortes, mais la communion dans la main et ensuite l’avortement, le manque de respect vis-à-vis de la Personne divine du Christ entrainant inéluctablement le mépris de la personne humaine.

     Malgré 600 morts innocentes par jour, 220.000 par an, l’avortement, ce jugement sanguinaire qui emplit nos villes pour reprendre l’expression d’Ezéchiel, n’est pas considéré par les « catholiques aconfessionnels » de la Manif pour Tous comme une priorité politique puisqu’il n’en est nullement question dans les quarante propositions du mouvement pour 2017. Ce sujet fut également occulté au Rendez-vous de Béziers comme un obstacle à l’unité des droites ! L’important est d’être unis, du moins d’en donner l’apparence numérique car « depuis les manifs pour tous, preuve a été faite que nous autres, piétaille dite « de droite conservatrice » ontologiquement docile, n’avons pour nous que notre nombre » (Boulevard Voltaire, ibidem). Voilà bien le drame de ces catholiques conservateurs, de ces chrétiens démocrates, obnubilés par l’échéancier électoral qu’on leur impose ! Ils se confient davantage dans leur nombre que dans le secours de Dieu ; un Dieu, pourtant maître du temps, le temps du châtiment comme de la Miséricorde.

     Si mon peuple m’écoutait,

si Israël marchait dans mes voies,

en un instant j’humilierais ses ennemis,

et j’appesantirais ma main sur ses oppresseurs.

(Psaume LXXX, 14-15)

L’abbé

A suivre

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Catholique des racines à la cime

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 A subir depuis trop longtemps leurs beaux discours sur les racines de la France, on viendrait à se demander si les essayistes, « communicants », et autres ambitieux qui aspirent à nous gouverner ont une quelconque connaissance de la nature dans toute sa réalité concrète.

On pourrait en douter lorsqu’ils nous peignent doctement un arbre aux racines d’essences différentes : la France aurait ainsi des racines chrétiennes (et même judéo-chrétiennes), celtiques, grecques, romaines, scandinaves voire arabo-musulmanes. On ne s’étonnera pas que cet étrange végétal paraisse comme cultivé en laboratoire, baignant sans doute dans une solution nutritive artificielle. Comment expliquer autrement que l’on puisse si bien détailler ses racines tout en se désintéressant de la terre qui l’aurait accueilli ? Bref, la France enracinée que l’on nous propose ne semble qu’une monstrueuse abstraction, modulable à l’envi. L’intérêt de ce « machin » ne serait-il pas de légitimer en France différentes « spiritualités » dont on pourrait éventuellement discuter de la prééminence de l’une sur les autres, pourvu que le débat restât confiné à l’héritage historique, à la dimension « culturelle et non cultuelle », c’est-à-dire sans grandes conséquences politiques concrètes ? Car quelles que soient la nature et la vigueur des racines, celles-ci ne sauraient contrarier, si elles n’y contribuent pas, l’élévation de la France « républicaine » avec la « laïcité » pour religion, la maçonnerie pour clergé et l’avortement de masse pour immolation quotidienne.

Dieu préserve notre terre de France de ce genre d’organismes génétiquement modifiés ! Car la France est plus qu’un arbre, c’est un écosystème : un arbre catholique des racines à la cime, planté dans un humus complexe, et s’épanouissant dans une lumière et sous un climat proprement providentiels.

Parler de racines catholiques, et non judéo-chrétiennes, de la France c’est distinguer la foi apostolique de celle-ci de doctrines postérieures qui lui sont par essence opposées : le judaïsme rabbinique et le protestantisme. Ce dernier est d’ailleurs si tardif qu’il ne peut être une « racine » mais une branche séparée de son tronc multiséculaire et condamnée dès lors au dessèchement.

Si l’héritage judaïque du catholicisme est indéniable, on ne peut non plus contester que cette religion venue d’Orient a su trouver en Occident une terre particulièrement propice à son développement. Les nostalgiques de l’Antiquité païenne pourraient regretter que cette semence « étrangère » soit tombée dans leur jardin mais force est de constater que, malgré tous ses efforts, le paganisme européen n’a pu empêcher que l’arbre prenne de l’ampleur. Les échanges entre la plante et son milieu sont désormais établis depuis trop longtemps pour être remis en cause.

L’arbre est le lien entre la terre et le ciel. Il synthétise la lumière et purifie l’air, favorise les pluies qui irriguent la terre et protège celle-ci de l’érosion. S’il tire de la terre les éléments qui lui sont nécessaires, il ne l’épuise pas car il produit l’essentiel de sa matière de la lumière et de l’air : il rend palpable l’impalpable. Il en enrichit même l’humus par les fruits et les feuilles qu’il répand, par la profusion de vie que suscite sa présence. Ainsi, comme une merveilleuse « agroforesterie spirituelle », culturelle parce que cultuelle, le catholicisme a-t-il tiré de l’humus païen ce qu’il avait de meilleur, s’y enracinant si profondément qu’il en a révélé des richesses qui sans lui seraient restées insoupçonnées, inaccessibles, infécondes. Il suffit de voir pour s’en convaincre comment le catholicisme sut puiser dans la littérature et la métaphysique antiques pour nourrir sa liturgie et sa théologie ; comment à l’inverse les mystères de la sainte Trinité, de l’Incarnation, de la Transsubstantiation élevèrent la philosophie antique bien au-delà de ses cloisonnements propres. Prôner le retour au paganisme européen suppose nier cette harmonie millénaire et comme on ne peut ramener le chêne à l’état de gland, il faudrait l’arracher, ce qui tuerait l’arbre et exposerait une terre, qui en fait n’est plus aussi païenne qu’autrefois, à être lessivée par les intempéries et desséchée par l’ardeur du soleil jusqu’à la stérilité définitive.

L’on m’objectera que cette religion n’est pas de « chez nous », que le dieu chrétien est le dieu des Hébreux, pas celui des Européens, celtes, grecs ou romains ; mais ce n’est pas comprendre ce qui distingue fondamentalement le catholicisme, religion incarnée, de ces formes de néo-paganisme, religion « identitaire ». C’est ne pas distinguer ce que j’appellerais « la religion de la filiation (divine) », « la religion du Sang » qu’est le catholicisme, de ces multiples « religions du  sol », se reconnaissant mutuellement dans un parfait relativisme, pourvu que chacune restât sur son territoire supposé historique. Reconnaître des dieux propres à chaque territoire, c’est penser que ce sont les peuples qui se créent leurs dieux alors que la Bible nous révèle au contraire que c’est Dieu qui se constitue son peuple, un peuple tiré de la descendance d’Abraham et de toutes les nations (Apocalypse, VII, 4-9 : Et j’entendis le nombre de ceux qui avaient été marqués du sceau [de Dieu] : cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des enfants d’Israël, étaient marqués du sceau…Après cela, je vis une grande multitude, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute langue…).

En effet, Dieu n’est pas plus hébreu, qu’européen ou chinois. Il est le Tout Autre. Il échappe totalement à ce monde parce qu’Il en est le Créateur. Il est hors de la Création mais Il s’est révélé à nouveau à elle, après la Chute, par le peuple hébreu. Accomplissement définitif du judaïsme, le christianisme a ensuite propagé la Révélation dans le monde entier, pénétrant chaque culture locale pour la purifier, l’élever, la sanctifier et étendre ainsi la multitude des enfants de Dieu, tout en respectant l’identité naturelle de chacun. C’est ainsi que ce Dieu qui adopta les traits d’un Juif de Palestine voici 2000 ans, assume depuis diverses représentations à travers le monde selon les spécificités locales compatibles avec la foi : Il est juif avec les Juifs, grec avec les Grecs, chinois avec les Chinois, tout en demeurant le seul Seigneur de tous, le Père des adorateurs en esprit et en vérité (Jean, IV, 23).

Annoncez sa gloire parmi les nations, ses merveilles parmi les peuples.

Car le Seigneur est grand et infiniment louable ; il est plus redoutable que tous les dieux.

Car tous les dieux des nations sont des démons ; mais le Seigneur a fait les cieux.

(Psaume XCV, 3-5)

L’abbé

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Pas d’effusion de sang sans assurance de pardon

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Cf. chronique précédente « Pas de pardon sans effusion de sang » (http://terre-et-famille.fr/pas-de-pardon-sans-effusion-de-sang/)

La prise de conscience de notre péché pourrait bien sûr nous mener au désespoir, comme nous y incite si souvent l’Ennemi. Mais ce serait oublier que, par son principe pris a contrario, l’effusion de sang est la garantie de notre pardon puisque c’est par elle que se renoue l’Alliance, pourvu que nous nous assimilions à la victime expiatoire. Soyons-en bien convaincus : en toute justice, « la terre ne peut être autrement purifiée que par l’effusion de celui qui aura versé le sang innocent » (Nombres, XXV, 33b). Les personnes qui se repentent d’avoir eu recours à l’avortement ressentent souvent le poids de cette culpabilité sans trouver d’apaisement dans le discours édulcoré sur la Miséricorde qu’on leur sert trop souvent. Rongées par leur conscience, elles souhaiteraient subir la justice divine jusqu’à l’anéantissement si cela pouvait rétablir l’harmonie de la Création à laquelle leur péché a porté atteinte. Si nous pouvions tous ressentir une componction comparable pour tout péché grave qui, à lui seul, nous expose à la mort éternelle !

S’Il ne nous avait pas considérés comme des êtres libres et raisonnables, c’est-à-dire responsables de leurs actes, Dieu ne se serait pas formalisé de la rébellion de nos premiers parents, de celles d’Israël comme des nôtres. Comme un père éduque ses enfants, quitte à se faire violence en usant d’autorité, Il a souhaité au contraire nous faire connaître les conséquences du péché pour que l’horreur de celui-ci s’imprime profondément en nous. Mais Dieu qui ne cherche que la conversion du pécheur ne le châtie jamais autant qu’il le mériterait (« C’est Lui qui nous a châtiés à cause de nos iniquités ; et c’est Lui qui nous sauvera à cause de sa miséricorde », Tobie XIII, 5). Dieu s’expose même à la mort à notre place et nous fait bénéficier des fruits de la Satisfaction. Incorporés au Christ par la foi et les sacrements, nous que nos péchés condamnent, nous mourrons avec le Christ : à chaque messe à laquelle nous nous associons, Son corps est notre corps, Son sang notre sang, Son sacrifice notre sacrifice. Face à la tentation du désespoir, la Sainte Messe nous assure que « celui qui est mort est justifié du péché » (Romains, VI, 7).

Une seule goutte du Très Précieux Sang du Christ aurait suffi à racheter l’humanité toute entière mais Dieu ne sait donner qu’à profusion : Il n’aspire qu’à se donner Lui-même. Ainsi, au-delà de l’horreur du péché, l’effusion de sang nous enseigne-t-elle l’amour absolu du Fils pour son Père et pour ses frères que nous sommes. Car ce qui est sacrifice, ce n’est pas l’immolation, la souffrance, la mort, c’est l’offrande intérieure que le Christ fait de sa souffrance et de sa mort, le don de sa vie à Dieu pour qu’Il en fasse la vie du monde. La valeur de cette offrande, c’est l’amour par lequel Il communie entièrement à la Volonté du Père, à son Amour salvateur pour le monde. Un amour qui est don de soi jusqu’à la perte de soi-même, et qui est aussi totale confiance en Celui qu’on aime. Bien infiniment plus grand que tout le mal qui a submergé le monde (Père Marie-Joseph Nicolas, La Grâce d’être prêtre). Chaque messe nous offre dès lors l’occasion de nous laisser davantage assimiler à la Victime qui nous emporte dans cette offrande totale, d’amour, de réparation, de simplification, « cette glorification de Dieu par sa créature dans laquelle s’évanouiront peu à peu tout le mal et toute la souffrance du monde » (ibidem).

Quand on commence à servir Dieu véritablement, le moins qu’on puisse lui offrir, c’est le sacrifice de sa vie.

Sainte Thérèse d’Avila,  Le Chemin de perfection, Chapitre XIII

L’abbé

Pas de pardon sans effusion de sang

Chapiteau_Autun_145Il est de nos jours encore de bon ton d’opposer l’Ancien et le Nouveau Testaments, l’Ancienne et la Nouvelle Alliances, le Dieu de justice et Celui de miséricorde, l’Intéressé ne cessant pourtant d’affirmer, tout au long de l’Ecriture, sa parfaite immutabilité : Ego enim Dominus et non mutor (Malachie, III, 6). Dieu ne change pas ! Sa Loi ne change pas ! le Christ, de son propre aveu étant venu pour accomplir celle-ci et non pour l’abolir (Matthieu, V, 17).

     Au fondement de la Loi, il y a l’Alliance conclue entre Dieu et les hommes par un sacrifice sanglant, sacrifice d’animaux perpétuellement renouvelé depuis Moïse jusqu’au sacrifice parfait et définitif du Christ sur la Croix. Comme nous l’enseigne l’Epitre aux Hébreux, ce parachèvement du sacrifice mosaïque dans le sacrifice chrétien repose sur le principe constant, établi par Dieu, selon lequel « il n’y a pas de pardon sans effusion de sang » (Hébreux, IX, 22). Qui dit pardon, suppose faute, violation de la Loi de Dieu, rupture de l’Alliance qui ne sera renouée que par une nouvelle effusion de sang, celui des animaux ou celui du Christ à travers les sacrements.

     Si nous pouvons désormais invoquer la Miséricorde de Dieu, c’est parce que le Christ a satisfait pour nous à la Justice divine : « il a été blessé pour nos iniquités, il a été brisé pour nos crimes ; le châtiment qui nous procure la paix est tombé sur lui, et nous avons été guéris par ses meurtrissures » (Isaïe, LIII, 5) ;  « Celui qui n’a point connu le péché, Il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en Lui justice de Dieu (2Corinthiens, V, 21). La dimension expiatoire de la Croix se retrouve encore dans les visions de sainte Faustine qui, par la douloureuse Passion du Christ, arrêta le bras de l’ange exterminateur déjà levé sur le monde. Jésus Lui-même avertit la voyante que s’Il accordait un temps aux âmes pour profiter de Sa Miséricorde, c’est que bientôt viendrait le temps de Sa Justice.

     Force est malheureusement de constater que la Miséricorde divine a quelque peu perdu de sa vigueur, compte-tenu du flou entretenu dans l’esprit de nos contemporains au sujet de l’infinie sainteté de Dieu, du péché de l’homme et de son châtiment. Le monde ne s’est en effet guère amendé depuis l’époque de sainte Faustine où la coupe de la colère de Dieu était déjà à deux doigts de déborder. Au-delà de l’apostasie quasi-générale des Etats et des peuples, « la terre demeure souillée par le sang impuni des innocents qu’on a répandu » (Nombres, XXV, 33a), le sang des enfants à qui l’on interdit de naître par centaines de milliers chaque année en France (par millions dans le monde). En l’espèce, si l’on peut se féliciter de la mobilisation pour la défense du mariage naturel, l’absence de bataillons comparables pour la défense de la vie à naître révèle l’endroit où le Serpent a frappé. S’il y a « changement de société », il ne date pas de la loi Taubira, conséquence logique des lois Neuwirth et Veil qui n’auraient pas été adoptées si les catholiques de France s’y étaient radicalement opposés. De nos jours, dans les paroisses les plus « engagées », demeure souvent un malaise diffus, un non-dit autour des questions de la contraception et de l’avortement : les fidèles peuvent adroitement louvoyer en confession comme le pasteur se garder de troubler les meilleures brebis qui lui restent. Et le Cri silencieux de l’innocent s’élève, de plus en plus assourdissant, jusqu’au trône de Dieu.

     C’est ainsi que la perte du sens du péché, l’oubli qu’il s’agit là d’une question de vie ou de mort éternelles, nous rendent insensibles à l’urgence de la Miséricorde et nous privent de la joie profonde du pardon accordé, de la reconnaissance envers Dieu d’avoir échappé à l’Enfer. Comment dès lors trouver sans cette louange de Dieu la conviction nécessaire, la force surnaturelle qu’exige la défense pour la Vérité et la Vie face à des adversaires qui ne sont pas seulement de chair et de sang ? C’est renoncer à la radicalité du témoignage au nom du « pragmatisme politique » et rêver de « changer le monde » auprès d’élus qui, au mieux, se font un point d’honneur d’appliquer eux-mêmes dans leurs circonscriptions une loi qu’ils ont un temps combattue.

A suivre

L’Abbé

S’enraciner pour être moissonné

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Je suis le froment du Christ : Puissé-je être broyé sous les dents des bêtes féroces pour devenir un pain blanc. 
(Saint Ignace d’Antioche)

« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas… » (Jean XII, 24) : vérité fondamentale du Catholicisme qu’il faille s’enraciner et mourir pour « entrer dans la vie » (sainte Thérèse de Lisieux) !

Parler d’enracinement évoque immédiatement en nous l’image de l’arbre centenaire, aux racines profondes et à l’imposante ramure. Elevée en absolu, cette belle analogie de la famille naturelle peut cependant nous enfermer dans une forme de naturalisme diffus voire de paganisme déclaré (on se souviendra notamment du hêtre de la scierie dans Un roi sans divertissement). C’est peut-être une des raisons pour lesquelles le Christ, pour parler d’enracinement, ne recourt pas à cette image mais essentiellement à celle de la semence, du froment et de la moisson. En effet, contrairement à l’arbre, le blé n’est pas supposé « s’enraciner pour s’élever », dans le sens de lever pour lui-même, pour se complaire de façon durable dans la perfection de sa nature, aussi belle et féconde soit-elle. Le froment s’enracine pour s’élever et être moissonné : il donne le meilleur de lui-même et de la terre, il se donne lui-même à une œuvre qui le dépasse. Il s’accomplit dans le renoncement de soi pour un plus grand que soi. Le blé s’enracine pour être broyé et devenir hostie consacrée, pour devenir Dieu Lui-même. En cela, ce renoncement n’est pas une perte mais un gain qu’aucun bien de ce monde ne pourrait équivaloir (Philippiens, I, 21 : « le Christ est ma vie et mourir m’est un gain »).

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Notre nature a bien sûr toutes les raisons de frémir devant cette forme sublime d’anéantissement et c’est pourquoi l’enracinement de l’arbre, symbole de force, d’épanouissement paisible et durable, nous parait plus accessible, plus raisonnable, plus confortable. Mais à quoi bon s’enraciner et s’élever, si la terre et le ciel viennent à passer ? De quelle utilité seront alors pour l’arbre ses racines et ses branches ? Il n’aura d’autres choix en définitive que de disparaître ou de transcender sa nature pour se maintenir dans l’existence, à l’instar du blé.

Nous avons oublié que l’homme n’a pas été créé pour la terre, pas même pour le Jardin d’Eden mais pour le Ciel. Hélas, depuis le péché originel, nous souffrons tous de la « nostalgie du Paradis terrestre » (Père Marie-Dominique Philippe) :  nous sommes si déraisonnablement attachés à cette « vallée de larmes » que nous en venons à renoncer au Ciel. C’est pourquoi la considération de notre propre anéantissement ou de celui du monde peut être le dernier recours de Dieu pour nous inciter, comme un instinct de survie, à saisir la main qu’Il ne cesse de nous tendre à travers la mort.

Ce passage dans l’au-delà n’en relativise pas pour autant la profondeur et la pérennité de l’enracinement chrétien. En effet, la résurrection de la chair a pour conséquence d’entrainer dans l’éternité l’intégralité de notre humanité, non seulement notre âme mais aussi notre corps, ce corps par lequel nous avons aimé et souffert, ce corps issu d’une lignée, d’un peuple, nourri de la générosité d’une terre.

Le monde, l’Europe, la France ne sont pas éternels mais les hommes, les Européens, les Français le sont. Au nom de la « bio-diversité éternelle », nous devons défendre notre identité, notre pays, notre civilisation pour la variété des saints qu’ils suscitent, comme on défend une terre pour la qualité particulière de son blé ou de sa vigne. Ne redoutons pas la fin des nations que l’Ecriture nous annonce comme un signe de notre délivrance prochaine. Ne craignons pas même le martyre qui galvanise les pusillanimes, ébranle les sceptiques, assagit les téméraires : s’il éprouve l’Eglise militante sur le plan naturel, il la purifie sur le plan surnaturel et gonfle les rangs de l’Eglise triomphante.

Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et le tourment de la mort ne les touchera pas. Aux yeux des insensés ils ont paru mourir, et leur sortie de ce monde a été regardée comme une affliction, et leur séparation d’avec nous comme un anéantissement, et cependant ils sont en paix ; et s’ils ont souffert des tourments devant les hommes, leur espérance est pleine d’immortalité. Leur tribulation a été légère, et leur récompense sera grande, car Dieu les a éprouvés, et les a trouvés dignes de lui. Il les a mis à l’épreuve comme l’or dans la fournaise, il les a agréés comme une hostie d’holocauste, et quand leur temps sera venu, il les regardera favorablement. Les justes brilleront, et ils étincelleront comme les feux qui courent à travers les roseaux. Ils jugeront les nations, et ils domineront les peuples, et leur Seigneur régnera éternellement

(Livre de la Sagesse III, 1-8)

L’abbé

Le glaive de la colombe

181px-Chapiteau_Autun_145« Craignez la colère de la Colombe ! »

Si ce proverbe médiéval passe aujourd’hui pour une simple variante de « Méfiez-vous de l’eau qui dort », c’est que son origine biblique nous est moins évidente qu’autrefois. Nous devons en effet à la Vulgate l’image paradoxale de « colère de la colombe » (Jérémie, XXV, 38) voire de « glaive de la colombe » (Jérémie, XLVI, 16 ; L, 16), que des bibles plus « scientifiques » et désormais plus répandues, traduisent par « ardeur dévastatrice » ou « épée impitoyable ». Quiconque se sera confronté à la poésie de saint Jean de la Croix notamment comprendra de quelle richesse spirituelle on peut se priver en ne rendant pas compte de cette expression prophétique. Celle-ci, conservée malgré tout dans la mémoire populaire, se voit réduite à l’expérience commune selon laquelle les êtres enclins à la douceur sont ceux dont le ressentiment est réputé le plus redoutable, une fois leur patience épuisée. Nous sommes bien loin de la manifestation de la Justice divine que Jérémie annonçait à une humanité bientôt châtiée pour sa perversité (« La fuite sera impossible pour les pasteurs, et le salut pour les chefs du troupeau. On entend les cris des pasteurs et les hurlements des chefs du troupeau, car le Seigneur a ravagé leurs pâturages. Les champs de la paix sont en silence devant la colère et la fureur du Seigneur. Il a abandonné comme un lion sa tanière, parce que la terre a été désolée par la colère de la colombe, et par l’indignation et la fureur du Seigneur », Jérémie, XXV, 35-38).

Dans de multiples civilisations antiques, la colombe était un oiseau sacré, le symbole de la divinité mais également celui de la paix, de la fidélité conjugale, de la pureté des mœurs, de la simplicité voire de la douleur résignée. En effet, c’était communément un animal de sacrifice comme en témoigne encore la présentation de Jésus au Temple (Evangile selon saint Luc, II, 23-24).

On peut dès lors s’étonner de cette association de la colombe avec la colère ou le glaive, de l’innocence sacrificielle avec la lutte armée. Les commentateurs de Jérémie y ont vu une allusion à Nabuchodonosor, qui aurait porté une colombe dans ses enseignes, et que le prophète présente effectivement comme l’envoyé de Dieu pour châtier Israël par la conquête, l’asservissement et l’exil. Cette interprétation plausible justifierait le raccourci qu’opèrent les bibles modernes, traduisant directement « colombe » par l’idée de ravage, d’ennemi impitoyable.

Quoi qu’il en soit, ce paradoxe n’est en fait pas propre à Jérémie. Ainsi, la Bien-aimée du Cantique, colombe retirée dans la fente du rocher, surgit-elle du désert, appuyée sur son époux, « belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, terrible comme une armée en bataille » (Cantique des Cantiques, VI, 9). De même, quoique de façon plus allusive, les manifestations du Saint-Esprit dans l’Evangile témoignent de ces deux aspects : colombe au Baptême du Christ, feu et vent violent à la Pentecôte, Il est le Consolateur et le Défenseur.

Dans l’art chrétien, outre la troisième Personne de la Sainte Trinité, la colombe a très tôt figuré le Christ lui-même puis progressivement la Sainte Vierge, « l’épouse du Saint-Esprit », la Bien-aimée par excellence (« Elle est unique, ma colombe, ma parfaite ; elle est l’unique de sa mère, la préférée de celle qui lui donna le jour. Les jeunes filles l’ont vue, et l’ont proclamée bienheureuse ; les reines et les autres femmes l’ont comblée de louanges », Cantique des Cantiques, VI, 8). Conformément à cette tradition, la Chrétienté proclame Notre-Dame « la terreur de l’Ennemi, la solide tour qui garde l’Eglise, le rempart inébranlable de la cité » (Hymne acathiste) et lui attribue ses plus grandes victoires militaires contre un Islam oppresseur. De même, la messe de l’Immaculée Conception rapproche Marie et la chaste Judith dont le bras fortifié par Dieu trancha la tête de l’ennemi de son peuple.

Mais si la colombe est une figure de Notre-Dame, quel est son glaive si ce n’est paradoxalement celui qui a traversé l’âme de Marie (Evangile selon saint Luc, II, 35), le propre glaive de Dieu « pénétrant jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles, démêlant les pensées et les intentions des cœurs » (Epître aux Hébreux, IV, 12) ? Ce glaive est un glaive de justice car c’est un glaive d’innocence, « l’éternelle et limpide innocence de Dieu qui brise les cœurs » : devant l’indicible pureté de Dieu, nous serons portés à nous condamner nous-mêmes, « honteux non pas d’avoir offensé une toute-puissance mais d’avoir blessé un enfant » (A. Frossard). Nous ne pouvons que trembler devant l’inconcevable douceur de Dieu, mais Il nous convie à Lui faire confiance et à nous jeter dans cette douceur infinie pour qu’elle nous déchire à jamais d’une manière inénarrable (Père Molinié, Craindre la douceur de Dieu). Nous pouvons  aussi, hélas pour notre perte, céder à la tentation de fuir et de garder notre cœur dur, indifférent au spectacle de l’Innocence crucifiée, glaive de douleur de la plus estimable des mères.

Endurons donc courageusement le glaive de la Colombe et sa « blessure suave » que chantent nos plus grands mystiques mais craignons la colère de la Colombe, la sainte colère de Notre-Dame, dont l’amour maternel nourrit une détermination absolue contre tout ce qui porterait atteinte au bonheur de ses enfants. Craignons la colère de la Colombe, comme nous y exhorte Jérémie, la colère de Dieu Lui-même, qui ne saurait rester indifférent à l’oubli de sa Loi.

L’abbé

coeur