C’est la pauvreté qui sauvera le monde

Lutter contre la pauvreté ? Non. Aimons-la plutôt. Il ne faut pas lutter contre elle, il faut l’accueillir à bras ouverts et l’aimer.

Car ce n’est en rien la crise, l’avarice des puissants, les placements boursiers, les détournements de fonds, le réchauffement climatique, la politique de Merkel, d’Obama, de Hollande, s’il en est, ou de Poutine, qui provoquent la pauvreté de ce monde : Molière en est le parfait exemple. La pauvreté n’est pas une nouveauté, elle n’est pas une maladie, dont les hommes, les puissants, les papes pourraient soigner le monde par quelques encycliques ou commissions internationales. Nous ne guérirons pas le monde de la pauvreté, et il faut s’en réjouir, car c’est la pauvreté qui guérira le monde… si le monde veut bien la laisser faire, si Don Juan avait bien voulu laisser faire le Pauvre.

Ce qui est nouveau en effet dans la société française contemporaine, c’est le regard de mépris, le regard de Don Juan que nous portons sur le pauvre. Sans rien dire, ce dernier incarne l’infaillible échec de notre monde de négoce, qui recherche son salut dans le profit. Et cela nous est insupportable ! Mais il s’agit du monde voulu par 1789.  Aux yeux de Molière, le Pauvre incarne l’homme qui ne peut se contenter du bonheur des hommes, celui qui se trouve dans la plus grande nécessité du monde… C’est l’homme à la recherche de Dieu et qui pourtant pauvre, trouve le bonheur. Ce n’est donc pas le Pauvre qu’il faut guérir, c’est le monde où l’homme est roi, c’est le monde sans Dieu : c’est celui de Don Juan et le nôtre ! C’est bien à cet instant, à la scène 2 de l’acte III, qu’entre les mains d’un pauvre se joue le sort du monde libertaire qu’incarne le riche Don Juan.

Mais comment ? Eh bien le Pauvre n’est que don de lui-même. Pas de négociation, pas de promotion, pas de rupture de stock ni de baisse du cours, il donne tout à tout instant, même malgré lui. Il n’a rien d’autre à partager, ni plus ni moins que tout son être : quelle que soit la valeur même misérable de l’aumône, le Pauvre n’a qu’un prix : l’absolu. Sa part est donc inestimable car tout ce qui lui reste, sa vie et sa croix, ne sont que dons divins. Le pauvre est donc la figure du Christ, qui aime et meurt, sans rien attendre en retour : quel prix donner à un tel sacrifice, au sacrifice absolu ?

Apprenons donc plutôt à aimer la pauvreté toute proche, celle qui fait mal à l’âme, celle en somme que la Providence a voulu en partage de notre vie. C’est elle seule, à la différence de l’amour de l’humanité qu’invoque Don Juan, que nous pouvons prétendre aimer, car elle appartient au quotidien et nous rappelle celle qui est si familière à notre âme, notre pauvreté face au pêché. Oui, la pauvreté est universelle, la pauvreté est catholique et c’est par elle que nous nous sanctifions. Exerçons-nous donc à être des pauvres du Monde dont la seule richesse est en Dieu.

Heureux les doux, heureux les affligés, heureux les affamés et assoiffés de justice, heureux les miséricordieux, heureux les coeurs purs, heureux les artisans de paix, heureux les persécutés pour la justice, heureux êtes-vous si l’on vous insulte si l’on vous calomnie de toute manière à cause de moi. Matthieu, 5, 3-11

Une Voix

MOLIERE, Don Juan, Acte III, scène 2

SGANARELLE.- Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville. 

LE PAUVRE.- Vous n’avez qu’à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour. 

DOM JUAN.- Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon coeur. 

LE PAUVRE.- Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône. 

DOM JUAN.- Ah, ah, ton avis est intéressé, à ce que je vois. 

LE PAUVRE.- Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu’il vous donne toute sorte de biens. 

DOM JUAN.- Eh, prie-le qu’il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres. 

SGANARELLE.- Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme, il ne croit qu’en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit. DOM JUAN.- Quelle est ton occupation parmi ces arbres ? 

LE PAUVRE.- De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose. 

DOM JUAN.- Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise. 

LE PAUVRE.- Hélas, Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde. 

DOM JUAN.- Tu te moques; un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d’être bien dans ses affaires. 

LE PAUVRE.- Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n’ai pas un morceau de pain à mettre sous les dents. 

DOM JUAN.- Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins; ah, ah, je m’en vais te donner un Louis d’or tout à l’heure, pourvu que tu veuilles jurer. 

LE PAUVRE.- Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché? 

DOM JUAN.- Tu n’as qu’à voir si tu veux gagner un Louis d’or ou non, en voici un que je te donne si tu jures, tiens il faut jurer. 

LE PAUVRE.- Monsieur. 

SGANARELLE.- Va, va, jure un peu, il n’y a pas de mal. 

DOM JUAN.- Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc.

LE PAUVRE.- Non Monsieur, j’aime mieux mourir de faim. 

DOM JUAN.- Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité, mais que vois-je là ? Un homme attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté. (Il court au lieu du combat.)

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