Discours du Pape Pie VI prononcé au Consistoire secret du 11 juin 1793 suite à la mort du Roi Louis XVI le 21 janvier 1793.
« Vénérables Frères, comment Notre voix n’est-elle point étouffée dans ce moment par Nos larmes et par Nos sanglots ? N’est-ce pas plutôt par Nos gémissements que par Nos paroles, qu’il convient d’exprimer cette douleur sans bornes que Nous sommes obligés de manifester devant vous en vous retraçant le spectacle que l’on vit à Paris le 21 du mois de janvier dernier.
Le Roi très Chrétien Louis XVI a été condamné au dernier supplice par une conjuration impie et ce jugement s’est exécuté. Nous vous rappellerons en peu de mots les dispositions et les motifs de la sentence. La Convention Nationale n’avait ni droit ni autorité pour la prononcer.
En effet, après avoir aboli la monarchie, le meilleur des gouvernements, elle avait transporté toute la puissance publique au peuple, qui ne se conduit ni par raison, ni par conseil, ne se forme sur aucun point des idées justes, apprécie peu de chose par la vérité et en évalue un grand nombre d’après l’opinion ; qui est toujours inconstant, facile à être trompé, entraîné à tous les excès, ingrat, arrogant, cruel… La portion la plus féroce de ce peuple, peu satisfaite d’avoir dégradé la majesté de son Roi, et déterminée à lui arracher la vie, voulut qu’il fût jugé par ses propres accusateurs qui s’étaient déclarés hautement ses plus implacables ennemis. Déjà, dès l’ouverture du procès, on avait appelé, tour à tour, parmi les juges quelques députés plus particulièrement connus par leurs mauvaises dispositions, pour mieux s’assurer de faire prévaloir l’avis de la condamnation par la pluralité des opinions.
On ne put cependant pas assez augmenter le nombre pour obtenir que le Roi fût immolé en vertu d’une majorité légale. A quoi ne devait-on pas s’attendre et quel jugement exécrable à tous les siècles ne pouvait-on pas pressentir en voyant le concours de tant de juges pervers, et de tant de manœuvres employées pour capter les suffrages.
Toutefois, plusieurs d’entre eux ayant reculé d’horreur au moment de consommer un si grand forfait, on imagina de revenir aux opinions, et les conjurés ayant ainsi voté de nouveau, prononcèrent que la condamnation était légitimement décrétée. Nous passerons ici sous silence une foule d’autres injustices, de nullités et d’invalidités que l’on peut lire dans les plaidoyers des avocats et dans les papiers publics. Nous ne relevons pas non plus tout ce que le Roi fut contraint d’endurer avant d’être conduit au supplice : sa longue détention dans diverses prisons d’où il ne sortait jamais que pour être conduit à la barre de la Convention, l’assassinat de son confesseur, sa séparation de la Famille Royale qu’il aimait si tendrement ; enfin cet amas de tribulations rassemblé sur lui pour multiplier ses humiliations et ses souffrances. Il est impossible de ne pas en être pénétré d’horreur quand on n’a point abjuré tout sentiment d’humanité. L’indignation redouble encore de ce que le caractère de ce Prince était naturellement doux et bienfaisant ; que sa clémence, sa patience, son amour pour son peuple furent toujours inaltérables…
Mais ce que Nous ne saurions pas surtout passer sous silence, c’est l’opinion universelle qu’il a donnée de sa vertu par son testament, écrit de sa main, émané du fond de son âme, imprimé et répandu dans toute l’Europe. Quelle haute idée on y conçoit de sa vertu ! Quel zèle pour la religion catholique ! Quel caractère d’une piété véritable envers Dieu ! Quelle douleur, quel repentir d’avoir apposé son nom malgré lui à des Décrets si contraires à la discipline et à la Foi orthodoxe de l’Église. Prêt à succomber sous le poids de tant d’adversités qui s’aggravaient de jour en jour sur sa tête, il pouvait dire comme Jacques Ier, Roi d’Angleterre, qu’on le calomniait dans les Assemblées du peuple, non pour avoir commis un crime, mais parce qu’il était Roi, ce que l’on regardait comme le plus grand de tous les crimes…
Et qui pourra jamais douter que ce monarque n’ait été principalement immolé en haine de la Foi et par un esprit de fureur contre les dogmes catholiques ? Déjà depuis longtemps les calvinistes avaient commencé à conjurer en France la ruine de la religion catholique.
Mais pour y parvenir, il fallut préparer les esprits et abreuver les peuples de ces principes impies que les novateurs n’ont ensuite cessé de répandre dans les livres qui ne respiraient que la perfidie et la sédition. C’est dans cette vue qu’ils se sont ligués avec des philosophes pervers. L’Assemblée Générale du Clergé de France de 1755 avait découvert et dénoncé les abominables complots de ces artisans d’impiété. Et Nous-mêmes aussi, dès le commencement de Notre Pontificat, prévoyant les exécrables manœuvres d’un parti si perfide, Nous annoncions le péril imminent qui menaçait l’Europe dans Notre Lettre Encyclique adressée à tous les Évêques de l’Église Catholique…
Si l’on avait écouté Nos représentations et Nos avis, Nous n’aurions pas à gémir maintenant de cette vaste conjuration tramée contre les rois et contre les empires.
Ces hommes dépravés s’aperçurent bientôt qu’ils avançaient rapidement dans leurs projets ; ils reconnurent que le moment d’accomplir leurs desseins était enfin arrivé ; ils commencèrent à professer hautement, dans un livre imprimé en 1787, cette maxime d’Hugues Rosaire ou bien d’un autre auteur qui a pris ce nom, que c’était une action louable que d’assassiner un souverain qui refuserait d’embrasser la réforme ou de se charger de défendre les intérêts des Protestants en faveur de leur religion.
Cette doctrine ayant été publiée peu de temps avant que Louis fût tombé dans le déplorable état auquel il a été réduit, tout le monde a pu voir clairement quelle était la première source de ses malheurs. Il doit donc passer pour constant qu’ils sont tous venus des mauvais livres qui paraissaient en France, et qu’il faut les regarder comme les fruits naturels de cet arbre empoisonné.
Aussi a-t-on publié dans la vie imprimée de l’impie Voltaire, que le genre humain lui devait d’éternelles actions de grâces comme au premier auteur de la Révolution Française.
C’est lui, dit-on, qui en excitant le peuple à sentir et à employer ses forces, a fait tomber la première barrière du despotisme : le pouvoir religieux et sacerdotal. Si l’on n’eût pas brisé ce joug, on n’aurait jamais brisé celui des tyrans. L’un et l’autre se tenaient si étroitement unis que le premier, une fois secoué, le second devait l’être bientôt après. En célébrant comme le triomphe de Voltaire la chute de l’Autel et du Trône, on exalte la renommée et la gloire de tous les écrivains impies comme autant de généraux d’une armée victorieuse. Après avoir ainsi entraîné, par toutes sortes d’artifices, une très grande portion du peuple dans leur parti pour mieux l’attirer encore par leurs œuvres et par leurs promesses, ou plutôt pour en faire leur jouet dans toutes les provinces de France, les factieux se sont servis du mot spécieux de liberté, ils en ont arboré les trophées et ils ont invité de tous côtés la multitude à se réunir sous ses drapeaux. C’est bien là, véritablement, cette liberté philosophique qui tend à corrompre les esprits, à dépraver les mœurs, à renverser toutes les lois et toutes les institutions reçues. Aussi fut-ce pour cette raison que l’Assemblée du Clergé de France témoigna tant d’horreur pour une pareille liberté, quand elle commençait à se glisser dans l’esprit du peuple par les maximes les plus fallacieuses. Ce fut encore pour les mêmes motifs que Nous avons cru, Nous-mêmes, devoir la dénoncer et la caractériser en ces termes :
Les philosophes effrénés entreprennent de briser les liens qui unissent tous les hommes entre eux, qui les attachent aux Souverains et les contiennent dans le devoir. Ils disent et répètent jusqu’à satiété que l’homme naît libre et qu’il n’est soumis à l’autorité de personne. Ils représentent, en conséquence, la Société comme un amas d’idiots dont la stupidité se prosterne devant les prêtres et devant les rois qui les oppriment, de sorte que l’accord entre le Sacerdoce et l’Empire n’est autre chose qu’une barbare conjuration contre la liberté naturelle de l’homme. Ces avocats tant vantés du genre humain ont ajouté au mot fameux et trompeur de liberté cet autre nom d’égalité qui ne l’est pas moins. Comme si entre des hommes qui sont réunis en société et qui ont des dispositions intellectuelles si différentes, des goûts si opposés et une activité si déréglée, si dépendante de leur cupidité individuelle, il ne devait y avoir personne qui réunît la force et l’autorité nécessaires pour contraindre, réprimer, ramener au devoir ceux qui s’en écartent, afin que la Société, bouleversée par tant de passions diverses et désordonnées, ne soit précipitée dans l’anarchie et ne tombe pas en dissolution.
Après s’être établis, selon l’expression de Saint Hilaire de Poitiers, Réformateurs des Pouvoirs publics et arbitres de la religion, tandis que le principal objet est au contraire de propager partout un esprit de soumission et d’obéissance, ces novateurs ont entrepris de donner une constitution à l’Église elle-même par de nouveaux décrets inouïs jusqu’à ce jour.
C’est de ce laboratoire qu’est sortie une constitution sacrilège que Nous avons réfutée dans Notre réponse du 10 mars 1791 à l’exposition des principes qui Nous avait été soumise par cent trente Évêques. On peut appliquer convenablement à ce sujet ces paroles de Saint Cyprien : « Comment se fait-il que les Chrétiens soient jugés par des hérétiques, les hommes sains par des malades … les juges par des coupables, les prêtres par des sacrilèges ? ».
Que reste-t-il donc de plus que de soumettre l’Église au capitole ? Tous les Français qui se montraient encore fidèles dans les différents ordres de l’État et qui refusaient avec fermeté de se lier par un serment à cette nouvelle Constitution, étaient aussitôt accablés de revers et voués à la mort. On s’est hâté de les massacrer indistinctement ; on a fait subir les traitements les plus barbares à un grand nombre d’ecclésiastiques. On a égorgé des Évêques … ceux que l’on persécutait avec moins de rigueur se voyaient arrachés de leurs foyers et relégués dans des pays étrangers, sans aucune distinction d’âge, de sexe, de condition. On avait décrété que chacun était libre d’exercer la religion qu’il choisirait, comme si toutes les religions conduisaient au salut éternel ; et cependant la seule religion catholique était proscrite.
Seule, elle voyait couler le sang de ses disciples dans les places publiques, sur les grands chemins et dans leurs propres maisons. On eût dit qu’elle était devenue un crime capital. Ils ne pouvaient trouver aucune sûreté dans les États voisins où ils étaient venus chercher asile … Tel est le caractère constant des hérésies. Tel a toujours été, dès les premiers siècles de l’Église, l’esprit des hérétiques, spécialement développé de notre temps par les manœuvres tyranniques des calvinistes qui ont cherché avec persévérance à multiplier leurs prosélytes par toutes sortes de menaces et de violences. D’après cette suite ininterrompue d’impiétés qui ont pris leur origine en France, aux yeux de qui n’est-il pas démontré qu’il faut imputer à la haine de la religion les premières trames de ces complots qui troublent et ébranlent toute l’Europe ? Personne ne peut nier que la même cause n’ait amené la mort funeste de Louis XVI. On s’est efforcé, il est vrai, de charger ce Prince de plusieurs délits d’un ordre purement politique. Mais, le principal reproche qu’on ait élevé contre lui, portait sur l’inaltérable fermeté avec laquelle il refusa d’approuver et de sanctionner le décret de déportation des prêtres, et la lettre qu’il écrivit à l’Évêque de Clermont pour lui annoncer qu’il était bien résolu de rétablir en France, dès qu’il le pourrait, le culte catholique. Tout cela ne suffit-il pas pour qu’on puisse croire et soutenir, sans témérité, que Louis fut un martyr ?
Mais, d’après ce que nous avons entendu, on opposera ici, peut-être, comme un obstacle péremptoire au martyre de Louis, la sanction qu’il a donnée à la Constitution, que Nous avons déjà réfutée dans Notre susdite réponse aux Évêques de France. Plusieurs personnes nient le fait et affirment que lorsqu’on présenta cette Constitution à la signature du Roi, il hésita, recueilli dans ses pensées, et refusa son seing de peur que l’apposition de son nom ne produisit tous les effets d’une approbation formelle. L’un de ses ministres que l’on nomme, et en qui le Roi avait alors une grande confiance, lui représenta que sa signature ne prouverait autre chose que l’exacte conformité de la copie avec l’original, de manière que Nous, à qui cette Constitution allait être adressée, Nous ne pouvions sans aucun prétexte élever le moindre soupçon sur son authenticité.
Il paraît que ce fut cette simple observation qui le détermina aussitôt à donner sa signature. C’est aussi ce qu’il insinue lui-même dans son testament quand il dit que son seing lui fut arraché contre son propre vœu.
Et, en effet, il n’aurait pas été conséquent et se serait mis en contradiction avec lui-même, si, après avoir approuvé volontairement la Constitution du Clergé de France, il l’eût rejetée ensuite avec la plus inébranlable fermeté, comme il fit lorsqu’il refusa de sanctionner le Décret de déportation des Prêtres non assermentés, et lorsqu’il écrivit à l’Évêque de Clermont qu’il était déterminé à rétablir en France le culte catholique.
Mais quoiqu’il en soit de ce fait, car Nous n’en prenons pas sur Nous la responsabilité, et quand même Nous avouerions que Louis, séduit par défaut de réflexion ou par erreur, approuva réellement la Constitution au moment où il souscrivit, serions-Nous obligés pour cela de changer de sentiment au sujet de son martyre ? Non, sans doute. Si Nous avions eu pareil dessein, Nous en serions détournés par sa rétractation subséquente aussi certaine que solennelle et par sa mort même qui fut votée en haine de la religion catholique ; de sorte qu’il paraît difficile que l’on puisse rien contester de la gloire de son martyre.
Appuyé sur cette raison, celle du Pape Benoît XIV, et voyant que la rétractation de Louis XVI, écrite de sa propre main et constatée encore par l’effusion d’un sang si pur, est certaine et incontestable, Nous ne croyons pas Nous éloigner du principe de Benoît XIV, non pas, il est vrai, en prononçant dans ce moment un Décret pareil à celui que Nous venons de citer, mais en persistant dans l’opinion que Nous Nous sommes formée du martyre de ce Prince, nonobstant toute approbation qu’il avait donnée à la Constitution Civile du Clergé quelle qu’elle eût été.
Ah ! France ! Ah ! France ! toi que nos prédécesseurs appelaient le miroir de la chrétienté et l’inébranlable appui de la foi, toi qui, par ton zèle pour la croyance chrétienne et par ta piété filiale envers le siège apostolique, ne marche pas à la suite des autres nations, mais les précède toutes, que tu Nous es contraire aujourd’hui ! De quel esprit d’hostilité tu parais animée contre la véritable religion !
Combien la fureur que tu lui témoignes surpasse déjà les excès de tous ceux qui se sont montrés jusqu’à présent ses persécuteurs les plus implacables ! Et cependant, tu ne peux pas ignorer, quand même tu le voudrais, que la religion est la gardienne la plus sûre et le plus solide fondement des empires, puisqu’elle réprime également les abus d’autorité dans les puissances qui gouvernent, et les écarts de la licence dans les sujets qui obéissent. Et c’est pour cela que les factieux adversaires des prérogatives royales cherchent à les anéantir et s’efforcent d’amener d’abord le renoncement à la foi catholique.
Ah ! encore une fois, France ! Tu demandais même auparavant un Roi catholique. Tu disais que les lois fondamentales du Royaume ne permettaient point de reconnaître un Roi qui ne fut pas catholique, et c’est précisément parce qu’il était catholique que tu viens de l’assassiner !
Ta rage contre ce monarque s’est montrée telle que son supplice même n’a pu ni l’assouvir, ni l’apaiser. Tu as voulu encore la signaler après sa mort sur ses tristes dépouilles ; car tu as ordonné que son cadavre fut transporté et inhumé sans aucun appareil d’une honorable sépulture.
Ô jour de triomphe pour Louis XVI à qui Dieu a donné et la patience dans les tribulations, et la victoire au milieu de son supplice !
Nous avons la confiance qu’il a heureusement échangé une couronne royale toujours fragile et des lys qui se seraient flétris bientôt, contre cet autre diadème impérissable que les anges ont tissé de lys immortels.
Saint Bernard nous apprend dans ses lettres au Pape Eugène, son disciple, ce qu’exige de Nous dans ces circonstances Notre ministère apostolique, lorsqu’il exhorte à multiplier ses soins afin que les incrédules se convertissent à la Foi, que ceux qui sont convertis ne s’égarent plus et que ceux qui sont égarés rentrent dans le droit chemin. Nous avons, Nous aussi, pour modèle la conduite de Clément VI, Notre prédécesseur, qui ne cessa de poursuivre la punition de l’assassinat d’André, Roi de Sicile, en infligeant les peines les plus fortes à ses meurtriers et à leurs complices, comme on peut le voir dans ses Lettres Apostoliques. Mais que pouvons-Nous tenter, que pouvons-Nous attendre, quand il s’agit d’un peuple qui, non seulement n’a eu aucun égard pour Nos monitions, mais qui s’est encore permis, envers Nous, les offenses, les usurpations, les outrages et les calomnies les plus révoltantes ; et qui est enfin parvenu à cet excès d’audace et de délire, de composer sous Notre Nom des lettres supposées et parfaitement assorties à toutes les nouvelles erreurs.
Laissons-le donc s’endurcir dans sa dépravation puisqu’elle a pour lui tant d’attraits, et espérons que le sang innocent de Louis crie en quelque sorte et intercède pour que la France reconnaisse et déteste son obstination à accumuler sur elle tant de crimes, et qu’elle se souvienne des châtiments effroyables qu’un Dieu juste, Vengeur des forfaits, a souvent infligés à des Peuples qui avaient commis des attentats beaucoup moins énormes.
Telles sont les réflexions que Nous avons jugées les plus propres à vous offrir quelques consolations dans un si horrible désastre.
C’est pourquoi pour achever ce qui Nous reste à dire, Nous vous invitons au Service solennel que Nous célébrerons avec vous pour le repos de l’âme du Roi Louis XVI, quoique les prières funèbres puissent paraître superflues quand il s’agit d’un chrétien qu’on croit avoir mérité la palme du martyre, puisque Saint Augustin dit que l’Église ne prie pas pour les martyrs, mais qu’elle se recommande plutôt à leurs prières. »