Il me restait l’Église.
Je confiai mon désarroi à trois prêtres de la paroisse que je fréquentais. L’un après l’autre.
Don F., rencontré dans la rue, me demanda comment nous allions. J’ai dit : mal. La réponse évidemment le surprit. J’ai dit que nous étions en sursis, que nous risquions d’être expulsés d’Italie. Je ne pouvais plus rentrer dans l’école des enfants. Mon mari risquait de perdre son travail. Tous les travailleurs d’Italie doivent être vaccinés ou présenter un test négatif pour pouvoir travailler (tarif des tests : 250 euros par mois). Les plus de cinquante doivent être vaccinés sous peine d’amende. J’ai dit : comment voulez-vous que ça aille? Pour lui, évidemment vacciné, cette histoire semblait rocambolesque. Les gens soumis ne se rendent pas compte de ce que les autres vivent. Et s’ils l’apprennent, le plus souvent ils disent : mais alors, faites-vous vacciner et vous serez tranquille! J’ai demandé au prêtre :
– Que ferez-vous si l’on vous demande de contrôler les pass à l’entrée de votre église? Que ferez-vous si l’on vous oblige à n’autoriser que les personnes vaccinées?
– Non, ce n’est pas le cas, heureusement. On laisse entrer tout le monde.
– Pour l’instant oui, mais que ferez-vous si l’on vous demande de refuser les non-vaccinés dans votre église?
Déjà les non-vaccinés ne pouvaient plus entrer dans les églises pour les concerts de musique sacrée qu’il pouvait y avoir. N’était-ce pas hypocrite?
Il ne sut quoi répondre.
Ce fut une phrase commode et pleine d’espoir qu’il débita machinalement.
– C’est déjà le cas au Canada, vous savez. Seuls les vaccinés peuvent entrer dans les lieux de culte. Vous trouvez ça normal? Vous pensez que les sacrements ne s’adressent qu’à ceux qui obéissent au gouvernement ?
– Non…
J’appris plus tard qu’un évêque local avait écrit dans un journal qu’”un bon chrétien doit se faire vacciner”. Je croyais quant à moi qu’un bon chrétien était quelqu’un qui aimait Dieu et son prochain.
Don F. fut malgré tout un peu ébranlé par notre conversation. Mais, une fois de plus, le malaise fut sans doute mis sur le dos des états d’âme d’une femme sensible qui exagère beaucoup. Il dit qu’il prierait pour nous. Soit.
Le deuxième prêtre me reçut dans la sacristie. C’était un matin. Je rentrais de l’école et j’étais à bout. Des déclarations avaient été faites par Draghi selon lesquelles “les non-vaccinés ne font plus partie de la société”. J’ai dit au prêtre :
Il ne dit rien. J’avais cette fois affaire à un homme empathique.
Je lui demandai s’il y avait des discriminations justes et des discriminations injustes. Il répondit non, tout rejet est en soi mauvais, quel qu’en soit le motif.
J’ai demandé :
– Pourquoi devrais-je faire allégeance à Nabuchodonosor? Qui est mon maître : l’État ou Dieu? Et Dieu ne m’a-t-il pas donné une conscience, que l’Église est censée respecter?
– Si. Vous avez raison.
– Alors pourquoi l’Église se plie-t-elle à Nabuchodonosor? Pourquoi vous vaccinez-vous tous? Pourquoi les masques dans les églises? Les hosties au goût de gel hydro-alcoolique, franchement, je n’en peux plus.
Il était désemparé.
– Pourquoi vous, hommes de Dieu, ne réagissez-vous pas? Pourquoi laissez-vous des gens dans le malheur ? Vous ne savez pas que des milliers de personnes sont jetées dans la rue comme des moins que rien, privées de leur travail sous prétexte qu’ils estiment ne pas devoir recevoir cette injection expérimentale ? Ne vous sentez-vous pas responsable ? Ne croyez-vous pas avoir un mot à dire, au sujet de la charité ?
Il eut une bonne réaction, et je rentrai chez moi relativement en paix, ne serait-ce que d’avoir vidé mon sac.
Quelque temps après, j’appris que le président de la région Campanie avait déclaré que, “pour les non-vaccinés, il ne reste plus que le napalm”. Un médecin de Palerme déclara plus tard que “pour les non-vaccinés, il faudrait bien des camps de concentration”.
“Mais ça, c’était les lois d’Hitler”…
Quelqu’un m’apprit que, non content d’appliquer l’apartheid au Vatican, le pape avait affirmé que les non-vaccinés étaient des “négationnistes suicidaires”.
Nous étions à la veille d’une fête consacrée à “l’unité de l’Église”. Le prêtre (un troisième) appela donc à prier pour cette unité. Venant d’apprendre l’injure qui nous était faite par le pape, je ne pus me retenir d’aller parler au prêtre à l’issue de la messe. J’étais passablement énervée.
– Voici ce que dit le Pape.
Je répétai la somptueuse formule.
Si j’insistais à ce point pour parler à ces prêtres et à ces religieuses, c’est parce que je croyais encore, envers et contre tout, qu’ils étaient dépositaires d’un enseignement supérieur, d’une vision unique, parce que divine, de l’être humain.
Après quelques paroles tendues de part et d’autre, il me répondit :
Première nouvelle! Les martyrs des premiers siècles seront ravis de l’apprendre.
Il se dirigeait vers la porte, m’invitant clairement à sortir. Je ne pus contenir mes larmes. Il me dit de prier.
– Prier, prier, c’est trop facile! Je veux des actes! J’aimerais des prises de position.
La femme hystérique avait encore frappé. On s’écarta de moi, on alla ranger les ustensiles de l’autel, sans même un au-revoir. J’eus droit à un sourire de commisération de la part de la dame du catéchisme.
– Les gens ont l’esprit chamboulé avec tout ce qui se passe, vous savez! Il ne faut pas leur en vouloir!
– D’accord, mais le pape! N’est-il pas censé prôner la paix, être au-dessus de tout ça ?
Pas de réponse.
Je ne remis plus les pieds dans cette église. Je n’avais plus vraiment de refuge.
Une française en Italie