Cf. chronique précédente « Pas de pardon sans effusion de sang » (http://terre-et-famille.fr/pas-de-pardon-sans-effusion-de-sang/)
La prise de conscience de notre péché pourrait bien sûr nous mener au désespoir, comme nous y incite si souvent l’Ennemi. Mais ce serait oublier que, par son principe pris a contrario, l’effusion de sang est la garantie de notre pardon puisque c’est par elle que se renoue l’Alliance, pourvu que nous nous assimilions à la victime expiatoire. Soyons-en bien convaincus : en toute justice, « la terre ne peut être autrement purifiée que par l’effusion de celui qui aura versé le sang innocent » (Nombres, XXV, 33b). Les personnes qui se repentent d’avoir eu recours à l’avortement ressentent souvent le poids de cette culpabilité sans trouver d’apaisement dans le discours édulcoré sur la Miséricorde qu’on leur sert trop souvent. Rongées par leur conscience, elles souhaiteraient subir la justice divine jusqu’à l’anéantissement si cela pouvait rétablir l’harmonie de la Création à laquelle leur péché a porté atteinte. Si nous pouvions tous ressentir une componction comparable pour tout péché grave qui, à lui seul, nous expose à la mort éternelle !
S’Il ne nous avait pas considérés comme des êtres libres et raisonnables, c’est-à-dire responsables de leurs actes, Dieu ne se serait pas formalisé de la rébellion de nos premiers parents, de celles d’Israël comme des nôtres. Comme un père éduque ses enfants, quitte à se faire violence en usant d’autorité, Il a souhaité au contraire nous faire connaître les conséquences du péché pour que l’horreur de celui-ci s’imprime profondément en nous. Mais Dieu qui ne cherche que la conversion du pécheur ne le châtie jamais autant qu’il le mériterait (« C’est Lui qui nous a châtiés à cause de nos iniquités ; et c’est Lui qui nous sauvera à cause de sa miséricorde », Tobie XIII, 5). Dieu s’expose même à la mort à notre place et nous fait bénéficier des fruits de la Satisfaction. Incorporés au Christ par la foi et les sacrements, nous que nos péchés condamnent, nous mourrons avec le Christ : à chaque messe à laquelle nous nous associons, Son corps est notre corps, Son sang notre sang, Son sacrifice notre sacrifice. Face à la tentation du désespoir, la Sainte Messe nous assure que « celui qui est mort est justifié du péché » (Romains, VI, 7).
Une seule goutte du Très Précieux Sang du Christ aurait suffi à racheter l’humanité toute entière mais Dieu ne sait donner qu’à profusion : Il n’aspire qu’à se donner Lui-même. Ainsi, au-delà de l’horreur du péché, l’effusion de sang nous enseigne-t-elle l’amour absolu du Fils pour son Père et pour ses frères que nous sommes. Car ce qui est sacrifice, ce n’est pas l’immolation, la souffrance, la mort, c’est l’offrande intérieure que le Christ fait de sa souffrance et de sa mort, le don de sa vie à Dieu pour qu’Il en fasse la vie du monde. La valeur de cette offrande, c’est l’amour par lequel Il communie entièrement à la Volonté du Père, à son Amour salvateur pour le monde. Un amour qui est don de soi jusqu’à la perte de soi-même, et qui est aussi totale confiance en Celui qu’on aime. Bien infiniment plus grand que tout le mal qui a submergé le monde (Père Marie-Joseph Nicolas, La Grâce d’être prêtre). Chaque messe nous offre dès lors l’occasion de nous laisser davantage assimiler à la Victime qui nous emporte dans cette offrande totale, d’amour, de réparation, de simplification, « cette glorification de Dieu par sa créature dans laquelle s’évanouiront peu à peu tout le mal et toute la souffrance du monde » (ibidem).
Quand on commence à servir Dieu véritablement, le moins qu’on puisse lui offrir, c’est le sacrifice de sa vie.
Sainte Thérèse d’Avila, Le Chemin de perfection, Chapitre XIII
L’abbé